Bien plus que d’avoir mis en exergue l’avènement de la soviétisation du monde Occidental, et celle de la globalisation uniformisée, rendant de fait caduques la marge de manœuvre des états nations,  la crise du Coronavirus a surtout mis en évidence une passivité quasi absolue et généralisée des populations face aux restrictions de ses libertés les plus fondamentales, mais également face à l’intrusion du pouvoir étatique dans la sphère privée, ou encore a révélé une porosité totale entre les multinationales, les médias et le système politique ramenant de facto le monde à une forme de féodalisme sans couronne visible.

J’ai entendu ces derniers temps, beaucoup de personnes (notamment à droite) déplorer la passivité « des français » face au rouleau compresseur de la soviétisation.

Et s’il est vrai qu’il s’agit de la première réaction à chaud qui nous saisit, où l’on se dit « Mais pourquoi ne font-ils rien, ou plutôt pourquoi nous ne faisons rien ? » à mieux y réfléchir, et en examinant plus en détail la situation, il apparaît comme assez déloyal de reprocher aux seuls français leur inaction face à une guerre globale, d’autant plus que les autres peuples n’ont pas fait beaucoup mieux que les français.

Bien sûr, on pourrait arguer, qu’en quelques lieux, des peuples ont un peu plus lutté (comme par exemple l’Italie et ses 50 000 restaurateurs) ou au Texas. Et bien sûr, nous sommes en droit d’attendre du peuple français de faire preuve d’un peu plus de pugnacité face à l’adversité mais le constat général, continental et mondial est sans équivoque : les peuples ont accepté docilement la mise en place d’un paradigme sécuritaire et sanitaire au détriment du paradigme libertaire jusqu’alors considéré comme le paradigme fondamental.

Pourtant l’objet de cet article n’est pas d’être un manifeste anti complexe sanitaro-sécuritaire (comme peuvent l’être les chroniques des libertés sacrifiées) mais plutôt d’essayer d’analyser ensemble, quelles peuvent êtres les lignes de force subjacentes.

Avant cela je tiens à préciser que les hypothèses développées ci-dessous proviennent d’une intuition personnelle que je vous livre. Elles n’ont ni vocation scientifiques, ni ne prétendent refléter une exactitude absolue. Du reste il se peut que cette idée qui est à l’état de germe dans mon esprit ait été déjà développée de manière plus conséquente par un théoricien dont j’ignore l’existence, et si tel est le cas merci de m’en faire part.

Les principes de masses

Alors cette hypothèse, quelle est-elle ?

Mon analyse ne porte pas sur des individus particuliers, ni sur un groupe donné mais plutôt sur ce qu’Elias Canetti nommait les masses. Qu’elles soient masses ouvertes, masses fermées, ou cristaux de masses (cf “Masse et puissance”). Nous ne développerons pas ici le concept des masses telles que définies par Canetti. Il serait trop long et laborieux d’en faire un descriptif. Cependant j’invite vivement chaque personne à prendre connaissance de cet ouvrage, honoré d’un prix Nobel de littérature en 1981.

Ce qu’il faut retenir de la logique de masse ici, c’est que je prends en compte l’idée que chaque individu fait partie inconsciemment ou sciemment de groupes qui le surplombent. Cette infinité de groupes parfois interconnectés entre eux forment ce que l’on nommera la somme des masses.

Chaque masse est régie par un principe. Que l’on nommera principe actif et principe passif. Nous détaillerons plus loin à quoi ils correspondent. Ces principes sont eux-mêmes subdivisés en deux parties[1] que l’on nommera rhésus ; composés des rhésus positif et rhésus négatif.

Nous avons donc quatre types de masses :

-La masse au principe passif rhésus positif :  soit Passif +

-La masse au principe passif rhésus négatif : soit Passif

-La masse au principe actif rhésus positif : soit Actif +

-La masse au principe actif rhésus négatif : soit Actif

N’ayez crainte derrière ces dénominations quelque peu barbares se cachent en vérité des données simples à saisir.

Dans un premier temps définissons ce que sont les principes.

Le principe passif c’est le monde des idées, de la pensée, qu’elle soit par le biais de l’écriture ou de l’oralité. C’est le monde de l’impalpable. C’est la somme de toutes les données et des informations. Par essence le principe passif se définit dans la mesure où il est une anti-matière. Il est tout ce qui n’est pas du monde physique et matériel.

Vous l’aurez compris le principe actif est donc l’opposé, c’est le monde matériel, tangible, technique. De la physicalité, et que d’autres seraient tentés de nommer le réel.

Par cette simple définition on peut déjà remarquer que l’avènement et la généralisation d’internet (et plus globalement du virtuel) a fait basculer le monde qui était jusque-là majoritairement dans un principe actif vers un principe passif ( et cela donne déjà des pistes de réflexion sur la passivité générale).

Les principes sont en soit des éléments « neutres » dans la mesure où bien qu’ils indiquent la nature profonde de la masse, ils ne renseignent en rien de son efficience.

C’est là qu’interviennent les rhésus.

De l’importance des rhésus

Ainsi une masse régie par un principe Passif +  est une masse qui développe un système de pensée cohérent, soit à partir d’un constat d’échec soit dans une volonté de changement volontaire. C’est dans ce domaine que se retrouve les penseurs, les philosophes, mais aussi les influenceurs politiques et les leaders d’opinions…

Malgré son titre de Passif, le principe Passif + est un principe agissant dans la mesure où il définit une ligne idéologique, théorique. C’est une fondation intellectuelle.
Il est définit comme passif car il n’a pas de prégnance temporelle immédiate, et si c’était le cas, cela tiendrait plus de la conjoncture que d’une conséquence liée à sa nature.
Friedrich Nietzsche, de par sa vie, est l’expression même du Passif +. Sa présence physique vis à vis de ses contemporains fut somme toute relative. Lui-même indiquait d’ailleurs écrire pour un futur à cent ou deux cent ans.
Cela pourrait apparaître comme ironique que l’essentiel de sa pensée soit tournée essentiellement vers l’appréhension d’un principe actif + singularisé. C’est au contraire tout à fait logique comme nous le verrons ensuite.

Il est à noter que le Passif + est la combinaison la plus individualisée de toutes les combinaisons. Et son appartenance à des “masses” s’apparente plus à des nébuleuses idéologiques qu’à des masses en tant que telles. Le “courant” (philosophique, artistique, politique…) est l’expression collective des individus incarnant pleinement l’énergie Passif + .

Inversement une masse sous un principe Passif –  est une masse essentiellement passive au sens traditionnel du terme. C’est-à-dire que c’est une masse qui voit les évènements se dérouler devant elle comme si tout était écrit dans un script. Typiquement, un lecteur ou bien un spectateur d’une vidéo appartient à la catégorie Passif –  et même si ce spectateur émet des critiques par le biais de commentaires par exemple, il appartient toujours à cette catégorie car son action n’a aucune portée durable ni ne bénéficie de structure idéologique; il ne fait que réagir à l’élaboration d’un système de pensée mis en place par d’autres[2].

Une masse régie par un principe Actif + est une masse qui élabore une stratégie concrète par le biais d’une communauté, mettant en place un plan d’action avec des répercussions physiques. C’est ici que l’on retrouve la stratégie militaire, les révolutions (type révolution cubaine ou soviétique) mais également les actions politiques ou la création d’entreprises. Le but final d’une masse Actif + est la prise de pouvoir dans un domaine donné.

Le principe Actif + se nourrit du fruit mûr des développements du principe Passif +. C’est une mise en application qui souffre souvent d’un effet de retardement, un temps d’infusion ou de maturation.
Ce décalage entre la mise en place d’un système de pensées construites (Passif +) et son application programmée peut être la source sur ces derniers d’un désespoir et d’un pessimisme bien naturel. C’est que la mise en action nécessite d’abord un constat d’échec des solutions précédentes, et une réflexion sur les stratégies à mettre en place. Ce sont des agents ralentisseurs, naturels et indispensables dans la conversion d’une idée en agissement.
Il faut moins de temps à un individu (ou groupe d’individus) d’objectiver des défaillances que de mettre en place des solutions stratégiques, pragmatiques à ces défaillances, il en résulte qu’elles seront inéluctablement imparfaites, car c’est là le propre du réel et de l’action.

De par leurs natures foncièrement opposées, les principes Actif + et Passif + entretiennent des relations tumultueuses : les premiers reprochant aux seconds leur idéalisme qui ne tient pas compte du réel et des contraintes spatio-temporelles là où les seconds reprochent aux premiers des compromissions, des mises en application qui ne vont pas au bout de la logique.

Enfin une masse principe Actif est une masse essentiellement réactive, elle est désordonnée, elle réagit de manière épidermique, souvent aux actions de la masse Actif + . C’est ici que l’on retrouve les manifestations ou encore les mouvements de contestations. L’exemple le plus frappant ces dernières années est probablement la question des gilets jaunes. Qui était essentiellement une masse de type Actif et faute d’avoir su ou pu bénéficier (ou ayant purement et simplement refusé) la pénétration de masses de types Passif + ou Actif + s’est désintégrée purement et simplement.
En somme, ce qui a détruit le mouvement des gilets jaunes n’est pas la réponse autoritaire du gouvernement mais l’absence de rhésus actifs.

Certains n’auront pas manqué de remarquer qu’il n’est nullement question de neutralité. Et pour cause ! Dans ce domaine, la neutralité n’existe pas, et ceux qui seraient tenté de le faire tombent de facto dans la case des Passif . Ce qui équivaut à n’avoir rien dit.

Le schéma ci-dessus, réduit à sa plus pure simplification, propose une représentation pyramidale de la répartition des ensembles de chaque principe.

Le principe Actif + bien que minoritaire en nombre est de par sa position de dominant, le seul principe capable d’influencer physiquement et durablement tous les autres principes.
On pourrait se demander pourquoi le principe Passif + est placé dans une position “inférieure” au principe Actif + dans cette pyramide. Effectivement cela rentre en contradiction avec la vieille pensée que le monde des idées domine le monde matériel.
En vérité le principe Passif + possède une place particulière, s’il est le seul à véritablement influencer le principe Actif+, où il agit comme une sorte de réservoir idéologique, il tient quand même une place inférieure (toute relative) dans le fait que sans une application dans le monde matériel, sa fonction est rendue à l’état latente. D’où d’ailleurs sa dénomination de “passif”.

Un autre point sur ce schéma : si on peut remarquer des porosités évidentes entre les principes Passif et Actif , ainsi qu’entre les principes Passif + et Actif +(d’où l’importance cruciale des rhésus), la véritable information est qu’il existe une sorte de plafond de verre quasi hermétique entre les rhésus négatifs et positifs. C’est ici que la vraie rupture est cruciale, et elle est je crois inhérente à la nature humaine. Comme nous l’avons vu précédemment, seul le principe Actif + possède l’énergie suffisante pour mettre en branle de manière efficace (bien que désordonnée) les rhésus négatifs.

Les principes de masses comme grille de lecture du monde

Ayant pris connaissance de ces principes et de leurs rhésus comme grille de lecture, l’analyse de la situation actuelle apparaît immédiatement plus lisible. Effectivement, la crise du coronavirus a fait s’affronter les forces du pouvoir (étatique, sanitaire, financier) ayant utilisé des rhésus essentiellement positifs, que ce soit via le principe passif, en mettant en place un paradigme du tout sanitaire ou via le principe actif en mettant en place des états d’urgence anticonstitutionnels leur assurant un pouvoir omniscient[3]. Face à ces pouvoirs, les populations n’ont “agi” que dans des dynamiques aux rhésus négatifs.

Comme dit précédemment, la généralisation d’internet, si elle permet une démocratisation du savoir, et une accélération de l’information a aussi comme effet secondaire majeur d’accentuer la passivité collective et pour corollaire une tendance à tirer les populations vers un rhésus négatif.

Autre exemple, en gardant cette grille de lecture, on peut remarquer que la droite qui jusqu’à peu était dans un principe essentiellement  Passif , qui se contentait de réagir systématiquement et presque exclusivement aux injonctions de la gauche,  a su effectuer une mutation pour s’affirmer peu à peu comme Passif +  là où la gauche est en train d’effectuer le chemin inverse.  Comme si le mouvement de l’une entraînait irrémédiablement le mouvement de l’autre.

Dès lors et ayant intégré ces données, il ne s’agit plus de déplorer l’inaction des autres mais au contraire de réfléchir aux moyens de transformer les principes avec des rhésus négatifs en principe aux rhésus positifs pour ainsi faire pencher la balance de manière permanente. Cela peut se faire par exemple en recréant des communautés physiques ayant des actions concrètes et ordonnées.

Il va sans dire que l’idéal est quand les deux principes (en rhésus positif) se trouvent en synergie, c’est à ce moment que l’on peut parler d’une véritable avancée.

Cependant, les deux principes ont des coexistences différentes. Le principe passif a l’avantage de n’être pas soumis aux prérogatives spatiales et temporelles, sitôt qu’il est «pensé» il peut se répandre dans des localisations et temporalités très différentes de son contexte initial. En revanche le principe Passif + ne peut avoir de pérennité sans être transmué à un moment donné en principe Actif +.

Le principe Actif + est la forme la plus aboutie qui permet d’agir durablement sur un lieu donné. Il a cependant besoin, pour être durable, la nécessité d’être appuyé par un  principe Passif + capable de se régénérer . En outre, il possède une limitation liée à sa nature même qui rend sa propagation à la fois spatialement et temporellement fragile et limitée.

En conclusion

Considérant la situation actuelle, il m’apparaissait comme essentiel de partager avec vous cette grille de lecture, y compris sous une forme quelque peu embryonnaire et encore fraîche du sceau de l’intuition.
Car, sans tomber dans le pessimisme de bas étage, je crains que le monde actuel ne s’ensevelisse dans un immobilisme généralisé et dans une posture uniquement réactionnaire à des événements pensés par une minorité agissante.

Il est de coutume de dire que les vainqueurs écrivent l’histoire, j’ajouterais que les vainqueurs (même quand ils échouent) sont toujours du rhésus positif.

Enfin cette théorie du principe des masses s’inscrit parfaitement dans le remplacisme global développé par Renaud Camus. Effectivement les masses rhésus négatifs se caractérisent par une indifférenciation globale et donc soumis à une interchangeabilité. Ainsi, bien peu de choses différencient un robot ou une IA d’une masse négative. Tous deux possèdent cette même prévisibilité : prévisibilité d’opinions, d’actions et de réactions. Elle est un fusil tourné contre nous.

A l’opposé, les masses qui incarnent le rhésus positif sont par essence irremplaçables, singulières et possèdent une identité définie.

Il est donc urgent et crucial de lutter (positivement) contre les tendances collectives qui nous emportent toujours plus loin vers les rhésus négatifs, ces derniers sont le terreau fertile de la soumission.

En somme :
Cultivons notre imprévisibilité ! Cultivons notre singularité ! Cultivons les formes d’humanités différenciées !


[1] (du moins en l’état actuel de cette idée, il est possible que par la suite d’autres parties s’ajoutent si elles paraissent nécessaire).

[2] Il est à noter qu’une personne peut faire à la fois partie de masses ayant des principes et des rhésus différents.

[3] On notera à ce titre que les rhésus n’indiquent en rien du caractère bienveillant ou malveillant de ces actions puisque ces données varient selon le point de vue de celui qui les émet ou les subit.