Mon confrère Louis Saint-Rose commençait son dernier article sur le cigare par la formule suivante :” Peu de choses possèdent une charge mythologique aussi forte que le cigare.” Il y a en effet bien une chose encore plus symbolique que le cigare qui peut relever le défi et cette chose, c’est la pipe.

Et toujours en miroir de la phrase de mon collègue pour le cigare :”Renvoyant simultanément à l’homme de pouvoir, au capitaliste, au révolutionnaire luttant contre l’impérialisme, à l’intellectuel, ou encore au mafieux… Il caractérise in fine toujours ces êtres qui s’affirment en tant qu’individu singulier face à la masse. Qu’ils la contrôlent ou l’affrontent.”

Je pourrais également inverser cette très juste formule pour les fumeurs de pipe, avec cette version :

Renvoyant au sage, au philosophe, à l’intellectuel ou encore au vagabond… La pipe caractérise quant à elle les hommes et femmes qui se veulent “distingués”, ceux qui souhaitent regarder la course effrénée de la vie de loin, ceux qui souhaitent prendre une pause, prendre le temps de vivre.

Et le temps, il est très long pour cet outil ancestral qu’est la pipe. Et pour s’y plonger, mettons nous dans l’ambiance avec un peu de musique.

Car effectivement, des traces de cet outil ont été retrouvées jusqu’à -500 av. JC et d’autres chercheurs supposent que l’on pourrait remonter encore bien plus loin dans le temps. Ce qu’il faut retenir c’est que la pipe est un ustensile très ancien, présent sur tous les continents depuis des millénaires.

Les origines de la pipe

Le but ici n’est pas de vous faire l’histoire intégrale de la pipe, il y a trop de choses à dire mais cependant avoir les bases et connaître d’où elle vient dans les grandes lignes va nous servir pour la suite. Permettons-nous donc une petite introduction historique.

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La pipe a donc évolué au fur et à mesure des époques. Il faut surtout retenir qu’il y a deux grands moments dans l’histoire de la pipe : l’avant et l’après découverte de l’Amérique (et donc du tabac).

Car avant la (re)découverte de l’Amérique par ce cher Christophe Colomb, la pipe servait uniquement à fumer des herbes, qu’on appelait “herbe à pipe” et parfois même quelques plantes médicinales. Puis grâce à cette découverte de l’Amérique qui a permise aux européens d’accéder au tabac, plante qui ne poussait que sur ce continent, la pipe a connue une véritable explosion.

C’est à partir de la Renaissance et de l’accès au tabac que la pipe, telle qu’on la connait plus ou moins aujourd’hui, va énormément se démocratiser.

Et le tabac, en plus à l’époque, coûte très cher, ce qui crée une sorte de symbole de réussite, un statut social autour de la possession de cet objet. Ce n’est pas n’importe qui, qui peut se permettre d’acheter régulièrement du tabac, à une époque où il coûte très cher d’en faire importer d’Amérique.

La pipe, une fierté française

Petite chose à savoir également sur l’univers de la pipe, c’est que la France a joué un grand rôle dans sa démocratisation au fil des époques. Pendant toute la Renaissance et l’ère industrielle, les français, entretenant de bons rapports avec les amérindiens, vont être parmi les premiers à avoir accès au tabac et à répandre en masse la pipe en France et en Europe.

Au XIXe siècle, le Général Lassalle, déclara : ” Un hussard qui ne fume pas est un mauvais soldat !”. Napoléon ordonna, sous les conseils de son Général, la création d’un modèle de pipe spécifiquement conçu pour les soldats s’étant distingués au combat.

La pipe va d’ailleurs gagner le surnom de “bouffarde” pendant la guerre de Crimée (1853 – 1856). Durant cette guerre, le Caporal Bouffard, à la tête d’un régiment de soldats, selon l’Histoire, perdit ses deux bras, arrachés par un boulet de canon lors du siège de Sébastopol. Dans l’une de ses mains, il tenait encore sa pipe. Il donna son nom de “bouffarde” à la pipe.

Aujourd’hui, la capitale mondiale de la pipe se trouve en France, il s’agit de la ville de Saint-Claude. On y fabrique les meilleurs pipes du monde qui sont renommées mondialement.

La pipe, ce jardin secret de poche

La pipe, va développer une aura toute particulière et elle va devenir le petit “jardin secret” de chacun car elle permet deux éléments différents, qui touchent tous deux la corde sensible de toute personne ayant l’esprit collectionneur :

• Elle permet d’être un objet personnalisé et très personnel. Quelque part, la pipe est à l’image de son fumeur. On accède donc à une infinité de possibilités en termes de longueur, de type de bois, de sculpture etc. Ce qui fait de la pipe un objet très personnalisable, où la seule limite est l’imagination.
• Elle permet également l’accès à un monde de tabacs différents, chacun ouvrant une porte sur des odeurs, un univers, une ambiance et le déclenchement de souvenirs.

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Elle permet, au delà de son aspect esthétique, d’être également un vrai laboratoire d’expérimentation des parfums des différents tabacs. Avec ce merveilleux outil, va commencer un vrai jeu, quasiment aussi varié que le vin, en offrant différentes sortes de tabacs tous plus différents les uns que les autres.

Et je ne parle pas du vin par hasard d’ailleurs, car comparée à la cigarette moderne, la démarche de la pipe est beaucoup plus proche du cigare et même du vin que de la cigarette qui en est très éloignée.

En effet, la cigarette est une drogue. Le seul but est de faire passer la nicotine en fumant (le mot est important) dans les poumons. La cigarette ne dure que quelques minutes, entre 2 à 5 minutes. Elle n’a également quasiment aucun goût à part celui du tabac pur (sauf rares exceptions aromatisées). La démarche de la cigarette est donc une démarche de dépendance, de corvée.

La pipe elle, est très différente. La première différence flagrante est que la pipe se crapote, tout comme le cigare.

Qu’est-ce que crapoter ? Une petite explication :

“La fumée est aspirée dans la bouche, sans être inspirée dans les poumons, avant d’être rejetée. Cette façon de fumer, aussi appelée « crapoter », était d’ailleurs pratiquée par une majorité des fumeurs, avant que n’arrivent en Europe les cigarettes américaines, après la seconde guerre mondiale. Ces cigarettes, constituées de tabac blond, bien moins irritants que les traditionnelles brunes européennes, facilitaient l’inhalation de la fumée dans les poumons. Ce sont les cigarettiers américains qui ont d’ailleurs largement promu la pratique à l’époque, par des publicités au slogan de « Do you inhale ? »Effet consécutif de cette façon d’inhaler la fumée, l’absorption de la nicotine par les poumons s’en trouve facilitée, ainsi que l’installation de la dépendance.”

Car oui en plus des raisons historiques, il faut bien comprendre que la démarche du fumeur de pipe n’est pas du tout la même. La pipe se fume principalement pour l’arôme de son tabac, un peu comme les experts en vin qui font tourner le vin dans leur bouche et le recrache ensuite. Le but n’est pas de boire et devenir soûl, le but reste uniquement le plaisir gustatif.

Dans cet optique, c’est tout un univers qui s’ouvre. On peut “visiter” des pays par le parfum en fumant des tabacs qui proviennent ou sont conçus par tel ou tel pays.

Dans le même esprit, on peut également se plonger dans l’univers de célébrités, d’artistes ou d’auteurs en se renseignant sur leur tabac préféré pour tenter l’expérience.

Des centaines et des centaines de tabacs s’ouvrent devant nous, ouvrant tous des potentielles portes vers des Madeleine de Proust.

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Là va débuter un vrai chemin, semé de découvertes, de surprises, de tests, qui vont peu à peu nous apprendre les arômes que l’on apprécie le plus. Pour ma part par exemple, après avoir testé des tabacs belges, français, américains et beaucoup d’autres, j’en suis arrivé à ma préférence, le tabac irlandais.

Le temps, élément central de la pipe

Ce n’est pas pour rien que la pipe est presque le symbole du penseur. Car son utilisation impose de prendre son temps. On ne peut pas fumer la pipe lorsqu’on est pressé ou qu’on passe en coup de vent à la pause café. Fumer la pipe demande une vraie pause, tout un rituel. Selon la taille de l’ustensile et la quantité de tabac que l’on y met, la durée de l’exercice peut varier entre 30 minutes et 2 heures.

Et c’est cette nécessité de prendre son temps, qui peu à peu fera grandir l’amour de la pipe.

Car au début pressé, le tout fraîchement initié aura tendance à vouloir se précipiter, vite fumer sa pipe et n’arrivera pas à se calmer. Mais telle une méditation, la pipe va progressivement lui apprendre à se relaxer, à apprécier le fait de prendre son temps. Une fois la tendance bien ancrée, certains fumeurs de pipes avouent qu’ils fument surtout pour le temps de méditation que la pipe peut offrir, plutôt que pour son arôme.

A l’opposé de la cigarette qui cherche à provoquer une dépendance, le rythme de la pipe lui, est souvent dicté par choix, détail anodin mais en fait très révélateur. On fume la pipe lorsqu’on est dans les bonnes dispositions, lorsque l’on en a envie, lorsqu’on a le temps. Ce qui explique que les fumeurs de pipe ont souvent un rythme très léger. Une pipe par soir, parfois une seule par semaine, le week-end.

Robert Louis Stevenson, le fameux voyageur et auteur de l’Île au trésor, prononçait cette fameuse citation :

“Il n’y a pas de pipe qui vaille celle que l’on fume après une bonne journée de marche.”

Robert Louis Stevenson.

Les célèbres fumeurs de pipe

La pipe, c’est au final, l’objet du raffinement par excellence. L’objet du gentleman discret. Le style anglais, l’élégance dans la sobriété.

Ainsi, l’homme d’affaires, le mafieux ou le politique à la personnalité forte tel un Churchill par exemple fumera le cigare, car véritable symbole d’opulence, de force et de pouvoir.

Mais le penseur, l’homme raffiné, celui qui a le temps, qui trouve son élégance dans la finesse et le juste ton de la sobriété, trouvera plutôt son bonheur dans la pipe.

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Bien évidemment, je ne pouvais donc pas faire un article sur cet objet si symbolique sans mentionner l’infini panthéon de personnalités qui ont fait partie du club des fumeurs de pipe. Voici une petite liste très loin d’être exhaustive, de certains fumeurs de pipe célèbres.

Comment débuter ?

Si vous voulez vous lancer, alors quelques petites choses à savoir pour éviter de se perdre dans ce vaste domaine.

Premièrement, pour commencer à fumer la pipe, il vous faut 4 choses :

• Une pipe
• Du tabac à pipe (ne tentez pas de fumer la pipe avec du tabac à cigarette classique, c’est un sacrilège)
• Un cure-pipe (qui est indispensable pour tasser, modelé et manipuler le tabac)
• Une tige de nettoyage (la pipe doit être nettoyée après chaque utilisation pour ne pas qu’elle se bouche avec le temps)

Voilà donc à quoi ressemble le kit complet :

Pour ce qui est du tabac, vous vous demandez sûrement vers lequel vous tourner. Je conseillerai pour débuter, le tabac Chacom. Un tabac de maison française, réputé idéal pour les débutants qui n’ont pas encore fait leur palais. Car oui, tout comme avec le vin, vous allez devoir habituer votre palais pour commencer à sentir le goût et être capable d’apprécier les arômes du tabac. Toute récompense se mérite !

La pipe et la femme

Je vous vois venir avec votre esprit mal tourné, coquins.

Plus sérieusement, la femme, de tout temps, s’est toujours appropriée la vénérable pipe. L’objet peut paraître assez masculin, or il n’en est rien. Et pour casser cette image très masculine de la pipe, il me semblait utile de mentionner, en note finale de cet article, que l’ustensile n’est pas réservée qu’aux hommes, car les femmes ont su également se l’approprier.

Accordez-vous donc un moment de détente mesdames, une bonne pipe, ça fait toujours du bien…

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Si vous avez aimé cet article, n’hésitez pas à nous donner vos retours. Et un sujet aussi vaste ne peut qu’être effleuré dans un format si court, nous vous invitons à approfondir vos recherches sur cet univers dans l’espace “Pour aller plus loin” ci-dessous et pourquoi pas, commander votre première pipe !

Pour aller plus loin :

https://fr.wikipedia.org/wiki/Pipe

https://smoking-room.net/women-and-smoking-tobacco-pipe/

https://www.gentlemansgazette.com/pipe-tobacco-primer/

Le meilleur youtubeur sur le sujet, toutes langues confondus, une vraie mine d’or