1- Pour nos lecteurs qui ne vous connaissent pas encore, présentez-vous.

” Le Cercle Droit & Liberté (CDL) est une association qui a maintenant 7 ans d’existence et approche les 500 membres qui sont aussi bien des étudiants que des professionnels du monde juridique. Le CDL fonctionne sur un triptyque assez simple : encourager l’esprit critique, promouvoir les libertés publiques dans la Cité et fédérer un réseau de juristes engagés.”

2-: Qu’est-ce qui vous a amené à lancer votre projet ? Quelles sont les étapes qui vous y ont menées ?

” Le CDL est né d’un double constat que nous avons réalisé au cours de nos discussions avec des amis étudiants en droit et avocats.

La France vit aujourd’hui une crise politique et nos libertés sont chaque jour de plus en plus menacées. L’état d’urgence sécuritaire puis la gestion de l’épidémie du coronavirus avec les restrictions drastiques apportées à nos libertés via l’état d’urgence sanitaire en sont des exemples flagrants.

Plus encore, l’Université française n’incite plus ses étudiants à développer un esprit critique. De fait, aussi bien à l’université qu’au sein des différents barreaux s’installe progressivement une pensée unique – que l’on pourrait grossièrement qualifiée de « juridiquement correcte » – prenant notamment la forme d’un discours « droit-de-l’hommiste » bon teint.

Nous nous sommes alors demandé comment briser ce conformisme intellectuel, de là est né le Cercle Droit & Liberté.”

3-: Pouvez-vous nous expliquer plus en détail en quoi consiste vos projets, votre démarche et pourquoi vous faites ce que vous faites ?

“L’objectif est de s’inscrire dans une forme de « guérilla culturelle ». Encourager les étudiants à penser au-delà de leurs cours de droit, et promouvoir des libertés publiques responsables et enracinées par opposition au nouveau dogme hors-sol que sont devenus les droits de l’Homme.

Notre démarche trouve ses racines dans l’héritage des Anciens : briser le conformisme par la Disputatio, si chère à Aristote ou Thomas d’Aquin, qui seule peut permettre d’atteindre la vérité . Pour ce faire, nous organisons des débats publics sur des sujets qui fâchent (critique des droits de l’homme, impérialisme juridique américain, peine de mort, légitime défense, lois anti-terroristes, etc.). Nous avons ainsi reçu des invités aussi variés que les avocats Thomas Hollande, Antoine Vey et Gilles-William Goldnadel, les professeurs Bertrand Mathieu et Philippe Pichot-Bravard, le député Sylvain Wasermann ou encore le conseiller d’Etat Bertrand du Marais.”

4-: Quelles sont vos principales sources d’inspiration, vos influences et vos références ?

“Pour ce qui est des références intellectuelles, c’est d’abord vers Aristote qu’il faut se tourner. Son Ethique à Nicomaque[1] est peut-être le livre dans lequel il démontre le mieux la richesse de ses méthodes de réflexion, la disputatio, c’est-à-dire la confrontation de propositions antagonistes, qui seule permet de parvenir à une forme de vérité. Nous tentons de nous inscrire dans cette démarche pour faire avancer nos idées.

Michel Villey, évidemment, et son indispensable Formation de la pensée juridique moderne[2]. Pourquoi ? Parce cet «  historien et philosophe du droit engagé » selon la formule de Norbert Campagna nous permet de comprendre que le droit n’est pas une abstraction positiviste comme le pensait Hans Kelsen, mais bien un moyen destiné à parvenir à la justice des hommes.

Pour ce faire, celui-ci nous explique qu’avant le droit, il y a la philosophie et l’histoire. La philosophie pour analyser les causes de la crise d’un droit moderne dévoyé, et l’histoire pour obtenir des réponses auprès des Anciens (Aristote, des jurisconsultes romains ou encore de Saint Thomas d’Aquin). Nous ne pouvons qu’inciter vos auditeurs à se procurer un exemplaire de La formation de la pensée juridique moderne qui est un manuel très accessible – y compris aux non-juristes -, pour comprendre la dérive moderniste du droit. Nous avons d’ailleurs une excellente note de lecture du Droit romain de Villey publié sur notre site[3].

Enfin nous citerons également Le discours d’Harvard d’Alexandre Soljenitsyne qui constitue une critique efficace de la juridiciarisation débridée de nos sociétés modernes ou encore l’excellent “Droit et passion du droit sous la Ve République” du Doyen Carbonnier, que tout juriste se doit d’avoir lu.”

5-: Qu’est-ce que le conservatisme selon vous ? Et pensez-vous qu’il est important aujourd’hui ?

“Vaste programme !

Notons tout d’abord que le conservatisme est un des nombreux courants de pensée représentés au CDL, mais qu’il n’est pas le seul. Ensuite, ll n’est pas chose aisée que de définir ce qu’est le conservatisme, pour la simple et bonne raison qu’il existe des conservatismes et non pas un seul courant uniforme. Il y a eu un conservatisme de gauche et de droite, un conservatisme libéral et un autre contre-révolutionnaire, et ces conservatismes alimentent la vie politique française encore aujourd’hui, d’ailleurs le terme revient à la mode…

A ce sujet, nous ne pouvons que conseiller à vos auditeurs de se référer à l’ouvrage collectif sous la direction de Frédéric Rouvillois – notamment –, Le dictionnaire du conservatisme, paru en 2017 aux éditions du Cerf[4].

Il semble néanmoins possible de s’entendre sur une définition commune du conservatisme au-delà de la pluralité des expériences qu’il recouvre. Le conservatisme est avant toute chose une doctrine qui souhaite conserver, mais que conserver ? C’est ici qu’il faut prendre parti. Un conservatisme de droite désignerait une volonté de penser l’ordre d’une société, de sauver et pérenniser des valeurs, cultures et communautés populaires. Le conservatisme c’est avant tout être enraciné dans une culture et vouloir la transmettre, c’est donc s’opposer directement aux libéraux dont le point de départ est l’individu libéré des carcans de la culture. Autrement dit, être conservateur c’est penser le bien commun avant l’individu.

Dans l’idéal, le conservatisme est révolutionnaire puisqu’il incarne une opposition directe au mode sociétal de la modernité[5] avec un accent écologique prononcé.

Autrement dit, le conservatisme est un humanisme puisqu’il vise à préserver l’Homme et les cultures.

Nous vous laissons méditer cette phrase du vieux Sage russe Soljenitsyne : « Jusqu’à présent l’homme était le sujet de l’histoire, aujourd’hui il se transforme en copeau du progrès. Le progrès avait jusqu’à maintenant entamé la nature, aujourd’hui il commence à entamer la culture et l’homme.”

6-: Si vous deviez donner 5 éléments sur lesquels tout Français ou Européen devrait sérieusement travailler au niveau individuel, lesquels seraient-ils ?

“Nous nous contenterons d’en donner deux : reprendre le goût de la liberté et sortir de l’individualisme.”

7-: Pouvez-vous nous partager votre ressenti sur la jeunesse d’aujourd’hui ?

” La jeunesse française est fracturée.

D’une part on remarque une certaine tendance à la haine de soi dont les racines sont à trouver du côté des théories américaines qui s’implantent dans les universités[6]. Le recours de plus en plus fréquent aux anglicismes « woke » est un des nombreux indicateurs de sa diffusion. Indigénisme, racialisme, théorie du genre, vos traits vous désignent nécessairement en tant qu’oppressé ou dominant.

Une autre partie de cette jeunesse au contraire reprend conscience de ce qu’elle est et de son héritage menacé. C’est une réaction au mouvement de destruction des repères structurants de l’individu qu’induit la mondialisation et sa tendance à l’indifférenciation. Une certaine jeunesse s’estime victime d’une grande dépossession aussi bien de son cadre de vie que de son patrimoine. Le modèle de l’homme nomade auto-engendré et interchangeable ne leur convient pas. Plutôt que de baisser la tête, ils souhaitent se réapproprier leur héritage. Il semble probable que le débat politique des prochaines années se cristallisera autour de la question identitaire.”

8-: Quels sont les principaux dangers qui menacent la civilisation européenne selon vous ?

“L’individualisme qui vient détruire le terreau civilisationnel européen et l’attachement que les membres de nos peuples se portent entre eux ainsi que la haine de soi caractérisée notamment par la culture de l’effacement.”

9-: Quels sont les principaux espoirs et leviers qui permettraient de surpasser ces menaces ?

Renouer avec un débat libre et des racines définies.”

10-: Quels sont les personnalités, auteurs, initiatives ou organisations qui paraissent dignes d’intérêt aujourd’hui selon vous ?

“Personnalités : Carbon de Sèze, Régis de Castelnau, Philippe Pichot-Bravard, Jean-Louis Harouel, Pierre Manent, Jean-Claude Michéa, Anne-Marie Le Pourhiet…

Auteurs : Carl Schmitt, Alexandre Soljenitsyne, Jean Carbonnier, Pierre Manent, Marcel Gauchet, Michel Villeyl, Alain de Benoist…

Notons aussi l’importance des instituts de formation, et notamment de l’Institut de Formation Politique avec lequel nous coorganisons notamment un Campus des Libertés Publiques, destinés aux étudiants et jeunes professionnels désireux de défendre nos libertés[7].”

11-: Pouvez-vous nous donner un livre, un film et une musique, qui selon vous vous représente, ou auquel vous tenez ?

“La Formation de la pensée juridique moderne de Michel Villey pour la totale indépendance d’esprit dont il aura fait preuve, il est un exemple à suivre.

Son livre est un véritable trésor et permet de saisir l’essence véritable de ce qu’est le droit : l’art du juste partage ou, en reprenant la formule latine issue du Digeste, ius est ars boni et aequi.

L’auteur identifie deux traits permettant de le définir. Le droit est une relation sociale – qui implique donc une pluralité de personnes –, mais n’est l’attribut d’aucune de ces personnes puisqu’il leur demeure extérieur, il est donc objectif. Le second trait tient à ce qu’il vise à établir l’équité dans cette relation.

Ainsi, le droit doit être regardé comme un rapport d’équité établi par le juge, et non comme une propriété inhérente à l’homme qu’il tiendrait de sa seule nature. L’homme ne possède aucun droit indépendamment de tout rapport avec ses semblables[8].

Autrement dit, le droit est ce qui permet l’équilibre et la proportion entre membres d’un groupe et s’oppose dans son essence à l’explosion anarchique des droits individuels subjectifs. Nous nous réapproprions l’idée que le point de départ du droit est avant tout la Cité et non l’individu, l’objectif avant le subjectif, le bien commun avant l’ego.”

12-: Que pensez-vous pouvoir apporter à quelqu’un qui vous découvre ?

“Le CDL c’est avoir accès à un réseau de juristes engagés – et ainsi augmenter ses chances d’accélérer son insertion professionnelle –, tout en s’inscrivant dans une démarche intellectuelle pour faire avancer nos idées dans le monde juridique. Autrement dit, le CDL c’est parvenir à une forme d’unité de vie : Concilier engagement et vie professionnelle, donner du sens à sa vocation de juriste.”

13-: Quels sont vos projets à l’avenir ? Dans les prochaines semaines et mois, à court terme, mais également votre vision à long terme ?

“Nous avons cité plus haut le Campus des Libertés Publiques. Dans l’avenir nous comptons continuer à promouvoir les libertés par tous les moyens : l’activisme judiciaire, la publication d’articles d’opinion ou plus scientifiques, la prise de parole médiatique. Le but étant d’être capable de penser dans le débat public en fournissant des analyses solides et argumentées.”

14-: Où peut-on vous suivre ? Sur quel média ou réseau êtes-vous le plus actif ?

“Soucieux de mener le combat sur tous les fronts, le Cercle Droit & Liberté agit au quotidien sur Internet et porte chaque jour le débat sur les réseaux sociaux, notamment sur Facebook, Twitter et Youtube.

En cette période de censure généralisée sur les réseaux sociaux, nous lançons également notre chaîne d’information sur la messagerie instantanée Telegram où nous publions régulièrement du contenu (veille juridique, articles engagés, vidéos.”

15-: Un mot pour la fin ?

« Les hommes à l’Ouest ont acquis une habileté considérable pour utiliser, interpréter et manipuler la loi, bien que paradoxalement les lois tendent à devenir bien trop compliquées à comprendre pour une personne moyenne sans l’aide d’un expert. Tout conflit est résolu par le recours à la lettre de la loi, qui est considérée comme le fin mot de tout. Si quelqu’un se place du point de vue légal, plus rien ne peut lui être opposé ; nul ne lui rappellera que cela pourrait n’en être pas moins illégitime. »

Alexandre Soljenitsyne

[1] Aristote, Ethique à Nicomaque, trad. R. Bodéüs, Garnier-Flammarion, Paris 2004

[2] Michel Villey, La Formation de la pensée juridique moderne, Presse universitaire de France, 2013

[3]  CDL, Lire ou relire Le droit romain de Michel Villey : https://www.cercledroitetliberte.fr/lire-ou-relire-le-droit-romain-de-michel-villey/?fbclid=IwAR3c2wGgqrdHEw1mrbwaITlzkME6ujeVhKcNEwknTgmJy-SKEfZwVh3p-Gw

[4] Christophe Boutin, Frédéric Rouvillois, Olivier Dard, Le dictionnaire du conservatisme, Collection Idées, 2017

[5] Armin Mohler, La révolution conservatrice en Allemagne 1918-1932, Pardès, Puiseaux, 1993

[6] La liste de livres « antiracistes» publiée sur le compte Instagram de Sciences Po, Le Figaro Etudiant, 2020 : <https://etudiant.lefigaro.fr/article/la-liste-de-livres-antiracistes-publiee-sur-le-compte-instagram-de-sciences-po-cree-l-emoi_b1e47a7e-e085-11ea-8a4c-0a6c0e6430b1/ > consulté le 4 février 2021

[7]Pour découvrir cette formation https://www.cercledroitetliberte.fr/postulez-au-campus-des-libertes-publiques-une-formation-du-cercle-droit-liberte-en-partenariat-avec-lifp/

[8] Alain de Benoist, Ce que penser veut dire, éd. Du Rocher, 2017, p. 251-258