1- Pour nos lecteurs qui ne vous connaissent pas encore, présentez-vous.
” Je m’appelle Marie Chancel, je suis journaliste à la revue Éléments, revue bimestrielle fondée en 1973. La volonté des fondateurs d’Éléments, était, suite à la victoire culturelle remportée par la gauche en Mai 68, de proposer des pistes de réflexion, de former intellectuellement. La revue dépasse les clivages politiques car ils ne veulent plus rien dire; il suffit de voir “l’écologie” défendue par EELV, qui n’a rien d’écologique. Éléments s’intéresse aux idées, tout en gardant une ligne directrice : la civilisation européenne; la diversité des peuples face à l’uniformisation, l’homogénéisation; le droit des peuples, à vivre sur leur terre selon leur culture, plutôt que les droits de l’homme individualiste et hors-sol; et également l’opposition au “prêt-à-penser”, qui domine largement dans les médias.
Je m’intéresse particulièrement à la société contemporaine, celle que l’essayiste Philippe Muray qualifiait de société rentrée dans l'”après histoire” : une société constituée d’individus hors-sol, détachés de toute réalité (historique, biologique, etc), à la fois ultra permissive et ultra morale. Mes centres d’intérêts sont donc assez variés : indigénisme, antiracisme, féminisme, opposition entre la “France périphérique” analysée par Christophe Guilluy et la “France des métropoles”, l’impact de la mondialisation, etc.”
2-: Quel est votre parcours ? Votre jeunesse, vos études, vos projets déjà réalisés et vos succès passés ?
” Je n’ai pas fait d’école de journalisme, malgré ma passion pour l’actualité, la politique, le débat d’idées; j’ai très rapidement compris que je ne rentrais pas dans ce moule. J’ai fait des études de graphisme et de communication, toujours en écrivant à côté de mes études ou de mon travail. J’ai commencé à écrire dans des petites revues ou sur des sites. C’est ainsi que j’ai été repérée par Pascal Eysseric, directeur de publication, et François Bousquet, rédacteur en chef d’Éléments, qui m’ont proposé d’y écrire en octobre 2019. Après un premier essai concluant, j’ai eu la joie d’intégrer la revue.”
3-: Qu’est-ce qui vous a amené à lancer votre projet ? Quelles sont les étapes qui vous y ont menées ?
” Le refus de la pensée unique, de la léthargie qui s’est emparée de beaucoup, de voir la civilisation française et européenne détruite par la mondialisation qui conduit à une uniformisation et un appauvrissement global, où tout est identique et tout se vaut. Le désir de comprendre le monde dans lequel je vis, également. Pour ce faire, j’ai proposé des articles à des revues ou des sites dont je connaissais les rédacteurs, rencontrés lors de conférences ou de colloques. Mon travail a plu, et j’ai été publiée régulièrement, jusqu’à ce que je sois contactée par Éléments. “
4-: Pouvez-vous nous expliquer plus en détail en quoi consiste vos projets, votre démarche et pourquoi vous faites ce que vous faites ?
Je souhaite pouvoir, à mon niveau, faire bouger les lignes, et donner un son de cloche différent de celui que l’on entend aujourd’hui dans la majorité des médias. Je souhaite donner des pistes de réflexion.
Je travaille principalement sur des sujets sociétaux, qui monopolisent régulièrement l’actualité et sont révélateurs d’un mal profondément ancré : indigénisme, antiracisme obsédé par les races, opposant les Blancs et les Noirs (les Blancs étant forcément oppresseurs et les Noirs forcément oppressés), victimisation permanente, etc. Mais également l’ensauvagement, la néo morale des bien-pensants, toujours prompts à faire de grandes leçons de tolérance mais ne supportant pas les opinions différentes des leurs.
Je rédige également des articles de fond où j’analyse un sujet : par exemple, la pornographie, la façon bien peu éthique dont les films X sont réalisés, et les ravages que cela provoque sur le cerveau des consommateurs (et donc les répercussions sur la société). En rédigeant cet article, je souhaitais répondre à tous les bien-pensants qui défendent le porno sous le prétexte de la liberté : liberté de regarder ce que l’on veut, de disposer de son corps comme on l’entends, etc. Mais, “la liberté, pour quoi faire ?” questionnait Georges Bernanos. La liberté d’enrichir des multinationales du X qui pratiquent l’évasion fiscale (Fabian Thylmann, à la tête de la société Manwin, sera condamné en 2016 pour fraude fiscale) ? La liberté de soutenir un modèle de paupérisation (les salaires des acteurs et actrices X sont presque dix fois inférieurs à ce qu’ils étaient du début des années 2000) ? La liberté de regarder des scènes de plus en plus violentes car le cerveau s’y habitue (la neuroscience commence à s’intéresser aux effets du porno et a établi que la consommation de films X bouleverse le système de récompense du cerveau)?
J’apprécie tout particulièrement ce travail de fond, car il me permet de mettre en lumière des sujets qui sont parfois mis de côté, tant l’actualité est dense, mais qui restent révélateurs du monde dans lequel nous vivons.”
5-: Quelles sont vos principales sources d’inspiration, vos influences et vos références ?
” J’ai été très influencée par Michel Clouscard, philosophe à l’origine du concept de libéralisme libertaire; par Philippe Muray, essayiste connu pour son analyse de l’individu occidental moderne, celui dominé par ses pulsions, ses caprices (que l’on pourrait définir par “le droit d’avoir le droit”), sa subversion fantasmée, alors qu’il épouse en fait toutes les valeurs à la mode, telles que l’antiracisme, l’antisexisme. Philippe Muray est décédé assez récemment, en 2006, et a donc vu et analysé les phénomènes que nous connaissons actuellement : attentats djihadistes, pensée progressiste, etc.
L’écrivain Guy Debord a eu une influence particulièrement importante sur moi : il a construit la théorie du “Spectacle”, qui est une critique de la société de consommation, de l’individualisation et de la mise en scène permanente. La philosophe Simone Weil, pour son courage, son engagement, sa lecture de la philosophie grecque et plus particulièrement de Platon, sa quête de la spiritualité chrétienne… Mais également Ernst Jünger, René Guénon, Marc Aurèle, Alain de Benoist, Christopher Lasch, George Orwell… “
6-: Qu’est-ce que le conservatisme selon vous ? Et pensez-vous qu’il est important aujourd’hui ?
” Le conservatisme est une notion qui revient régulièrement dans les débats, mais qui est souvent utilisé de manière péjorative. Il est souvent accolé au terme “populisme”, la bête noire des progressistes (Matteo Salvini, Viktor Orban, Donald Trump sont régulièrement taxés de populistes). Je pense toutefois que nous assistons à une redistribution des cartes sur le plan politique : le progressisme perd du terrain car n’a plus d’idées structurées à défendre, se contentant d’enchaîner des revendications toutes plus délirantes (et contradictoires) les unes que les autres. La parole se libère, et des idées autrefois bannies du débat public sont exprimées plus facilement.
Toutefois, le terme “conservateur”, comme beaucoup de termes utilisés en politique aujourd’hui, est souvent utilisé comme un mot fourre-tout : beaucoup de conservateurs revendiqués sont également libéraux; conservateurs sur les valeurs sociétales, libéraux sur l’économie. Mais, comme le démontre Jean-Claude Michéa, la position est intenable car le libéralisme économique et sociétal sont les deux faces d’une même pièce : on ne peut être libéral qu’au détriment de son conservatisme et conservateur qu’au détriment de son libéralisme. Réaffirmer des idées fortes est l’enjeu de la plupart des mouvements politiques actuels, conservatisme compris.”
7-: Que pensez-vous du contexte actuel de la société en France, en Europe ? Et à l’échelle du monde ?
” Aujourd’hui, le fossé entre les “anywhere” (ceux de “nulle part”) et les “somewhere” (ceux de “quelque part”), selon la théorie du journaliste britannique David Goodhart, semble infranchissable. D’un côté des Français subissant de plein fouet la crise du système capitalisme : chômage de masse, insécurité grandissante, identité tournée en dérision par les médias (France Inter s’illustre particulièrement dans ce domaine). De l’autre côté, une intelligentsia sur-représentée, prônant un “progressisme” hors-sol : antiracisme consistant à compter le nombre de personnes noires, marchandisation du corps humain à travers la PMA (mais tout en se revendiquant “féministe”), immigrationniste mais ne souhaitant pas avoir de clandestins dans son quartier….
La situation n’est pas propre à la France, la plupart des pays européens vivent plus ou moins la même chose. Toutefois, je pense que nous assistons à un grand retour du réel : les mensonges ânonnés lors des 40 dernières années ne marchent plus. D’où le retour des peuples, que les médias nomment “populisme”.
8-: Si vous deviez donner 5 éléments sur lesquels tout français devrait sérieusement travailler au niveau individuel, lesquels seraient-ils ?
Lire, tout d’abord. La lecture est indispensable pour apprendre, pour se former intellectuellement, pour s’approprier et apprendre à utiliser le langage, qui tend à s’appauvrir.
Forger sa propre opinion, son esprit critique. Pour cela, il faut toujours vérifier plusieurs sources, étudier les points de vues différents, etc. Difficile à une époque où l’actualité bouge très vite, mais indispensable pour ne pas être l’otage de partis pris idéologiques.
Ne pas céder à la dictature de l’émotion. Encore une fois, cela est difficile tant l’hystérie domine les débats, “l’appel kitsch au sentiment contre la raison”, écrivait Philippe Muray. Mais celui qui est soumis à ses pulsions sera l’esclave de ceux qui savent en jouer. D’où l’importance d’être le plus possible réfléchi et rationnel.
Se documenter sur notre histoire, notre héritage, notre culture. “Une génération qui ignore l’histoire n’a pas de passé – ni de futur.” (Robert Heinlein, romancier américain).
Enfin, s’engager pour faire avancer ce en quoi nous croyons. Cela peut être dans la politique comme dans une association de quartier. Vivre une vie en accord avec ses valeurs est une grande victoire sur la médiocrité ambiante.”
9-: Pouvez-vous nous partager votre ressenti sur la jeunesse d’aujourd’hui ?
” Je pense qu’il y a une véritable prise de conscience chez les jeunes générations, très certainement liée au poids du réel. Mais loin de se laisser accabler par les défis colossaux qui sont les nôtres, beaucoup agissent, à leur manière : certains utilisent les réseaux sociaux pour informer, d’autres font des vidéos, d’autres tentent de faire bouger les choses dans leurs facs via des syndicats étudiants (je pense à la Cocarde étudiante). Je salue la curiosité intellectuelle et l’envie d’agir que je vois chez beaucoup. Et je suis toujours touchée par les messages que je reçois de personnes très jeunes, me questionnant sur mon travail, sur un sujet d’actualité, sur des conseils de lectures… “Quand la jeunesse se refroidit, le reste du monde claque des dents” (Georges Bernanos) : je pense que la jeunesse d’aujourd’hui ne se refroidit pas, et sait résister à la bien-pensance progressiste.”
10-: Beaucoup de jeunes français cherchent à renouer avec leur héritage, quel est le meilleur moyen selon vous d’y parvenir ?
“Il faut être curieux, s’intéresser à tout : l’art, l’histoire, la littérature, l’artisanat, la philosophie… Curiosité vient du latin cura, la cure. La curiosité est donc le fait de prendre soin. En s’intéressant à notre civilisation, nous serons touché par elle. Chacun peut être touché par ce qui constitue notre héritage, selon sa sensibilité.”
11-: Quels sont les principaux dangers qui menacent la civilisation européenne selon vous ?
” La mondialisation qui appauvrit et nivelle par le bas notre mode de vie et notre culture; l’individualisme poussé à l’extrême, fragmentant la société en individus vindicatifs et souffreteux, persuadés d’être des victimes perpétuelles. Le résultat de cet individualisme est devant nos yeux aujourd’hui : Bellum omnium contra omnes, la guerre de tous contre tous, selon la formule de Thomas Hobbes. Les Blancs contre les Noirs, les femmes contre les hommes, les homosexuels et les variations sexuelles sans fin (genderfluid, pangender, graysexuel…) contre les hétérosexuels, etc. L’immigration, qui est un drame pour les peuples, sauf pour le Medef et les multinationales trop heureuses d’avoir de la main-d’œuvre à bas coût. La transformation du monde en un grand marché où tout s’achète et tout se vend, d’une paire de baskets fabriquées par un enfant à l’autre bout du monde aux ventres des femmes.”
12-: Quels sont les principaux espoirs et leviers qui permettraient de surpasser ces menaces ?
“Je ne suis pas politique; mon rôle de journaliste est plus d’analyser et de proposer des pistes de réflexion que des solutions forcément magiques, mais en tant que lectrice assidue de Simone Weil, je crois beaucoup en l’enracinement, titre de son ouvrage publié post-mortem par Albert Camus en 1949 : des obligations engageant chaque homme envers tous les autres, dans le but de satisfaire aux besoins de l’âme et du corps : ordre et liberté, égalité et hiérarchie, obéissance et responsabilité, etc.”
13-: Quels sont les personnalités, auteurs, initiatives ou organisations qui paraissent dignes d’intérêts aujourd’hui selon vous ?
” En auteur, le géographe Christophe Guilluy est indispensable pour comprendre la société actuelle. Pour ceux qui s’intéressent à l’économie, je
recommande vivement les écrits de Guillaume Travers, journaliste avec moi à Éléments. Chez les Anglo-saxons, le journaliste David Goodhart et ses analyses très fines des mutations vécues par la société britannique, et, par extension, par la plupart des sociétés européennes : perte d’identité, perte de lien social, etc.
Pour ce qui est des journalistes en France, il en existe de bons, qui proposent d’autres analyses que celles dont la plupart des médias nous gavent depuis des années; j’apprécie beaucoup le travail de Kevin Boucaud-Victoire de Marianne, d’Alexandre Devecchio du FigaroVox. Eric Zemmour rencontre un franc succès auprès des Français, et a beaucoup contribué à libérer la parole.
Plusieurs Youtubeurs proposent des analyses très intéressantes et peuvent être un excellent moyen de toucher un large public et de pousser à la réflexion. Je pense notamment à Barbare civilisé, très axé sur la philosophie, à Valek Noraje, à El Rayhan, à Terra Bellum pour l’histoire, à Tatiana Ventôse, etc.
Parmi les romanciers contemporains, je recommande vivement la lecture de Michel Houellebecq et de Sylvain Tesson; le roman est parfois un genre un peu délaissé, car il y a énormément de livres d’histoire, de philosophie, d’essais politiques, etc, à lire, mais le roman permet d’appréhender les choses sous un angle différent.”
14-: Y a t-il un sujet qui vous paraît délaissé aujourd’hui ou que vous considérez ne pas voir suffisamment dans les médias ou le débat public ?
” Je pense qu’il n’est pas assez question des causes de nos problèmes actuels. Tout le monde s’accorde pour dénoncer les conséquences : guerre du tous contre tous, communautarisme crée de toute pièce et exacerbé (il suffit de voir le féminisme actuel, pour qui le simple fait d’être une femme est une idéologie à part entière), perte d’identité, conséquences de l’immigration de masse, transformation de l’être humain en marchandise, paupérisation, etc. Mais il est rarement question des ravages de l’individualisme, de la perte du sacré et du transcendantal, du relativisme extrême de nos sociétés contemporaines qu’Alain de Benoist appelait “l’idéologie du même” où tout et tout le monde est identique. Je pense que nous gagnerions beaucoup à nous interroger sur tout cela.”
15-: Que pensez-vous pouvoir apporter à quelqu’un qui vous découvre ?
” Je traite souvent de sujets peu ou pas abordés dans les médias : la gentrification, l’impact de la pornographie, la récupération par les multinationales du slogan Black Lives Matter au moment de la mort de George Floyd, etc. J’ai la chance de posséder une solide culture classique (philosophie, histoire) que je met en parallèle avec l’actualité, ce qui me permet d’avoir une vue d’ensemble sur un sujet. Mon directeur de rédaction apprécie beaucoup mon travail pour cela, et pour ma capacité à m’emparer de certains sujets difficiles à analyser au premier abord.”
16-: Quels sont vos projets à l’avenir ? Dans les prochaines semaines et mois, à court terme, mais également votre vision à long terme.
” Je souhaite faire plus régulièrement des interviews : c’est un exercice exigeant et très différent de la rédaction d’articles. Actuellement, j’ai un projet personnel auprès des Chrétiens persécutés : je passe Noël et le mois de janvier en Arménie, avec l’association SOS Chrétiens d’Orient. La guerre entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan dans la République de l’Artsakh (Haut-Karabakh) a forcé les Arméniens à fuir ce territoire, maintenant aux mains des Azéris. Beaucoup sont réfugiés, blessés, de nombreuses familles ont perdu un fils, un père, un frère, dans les combats. SOS Chrétiens d’Orient réalise un travail incroyable auprès des chrétiens persécutés en raison de leur foi, de leur identité, et je suis très honorée de pouvoir apporter mon aide.”
17-: Où peut-on vous suivre ? Sur quel média ou réseau êtes-vous le plus actif ?
” Vous pouvez me suivre sur Instagram : marie.chancel, où je partage mon travail et des analyses de l’actualité. Je compte créer un compte Twitter plus tard, si le temps me le permet : ma priorité est de rédiger mes articles.”
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