Un membre de notre communauté se lance dans la rédaction d’articles et comme vous le savez peut-être, notre plateforme est à disposition de toutes les plumes talentueuses. C’est donc avec plaisir que nous publions ce premier article de Robert Duboulans et vous faisons découvrir son article d’analyse du livre de Maurice Genevoix intitulé Ceux de 14.
Article de Robert Duboulans : Ceux de 14
Que faisiez-vous, l’année de vos vingt-quatre ans ? Maurice Genevoix, lui, rédigeait au fond des tranchées boueuses des Éparges, sous le feu continu des obus prussiens et la menace perpétuelle des balles de Mauser, un témoignage poignant et dramatique sur la Grande Guerre.
Il l’ignorait probablement alors, mais ces récits de guerre que l’on retrouve aujourd’hui édités en un recueil de près de mille pages seront rapidement considérés par beaucoup comme une référence pour quiconque souhaite connaître la réalité du front entre 1914 et 1918.
Par la précision de son style et la finesse du choix de ses mots, les écrits du sous-lieutenant Genevoix nous transforment en un témoin silencieux, qui accompagne chacun des moments de sa vie pendant les premiers mois du conflit mondial. Jour après jour, heure par heure, rien ne nous est épargné et l’on traverse avec lui en temps réel tous les bons et les mauvais moments de la vie d’un poilu.
C’est bien sa complétude, d’ailleurs, qui justifie l’épaisseur d’un tel ouvrage. On aimerait parfois pouvoir sauter quelques pages, gagner du temps et ne s’intéresser qu’aux combats, puis on se souvient que l’ennui fait partie intégrante de la guerre. Ainsi, lorsque les poilus s’ennuient, on s’ennuie avec eux, lorsqu’ils doutent, on doute avec eux, lorsqu’ils s’amusent et rient, on rit avec eux, lorsqu’ils souffrent cependant, on ne peut qu’imaginer leur martyr.
Ces soldats, sont au coeur de chaque page, tous ces soldats que côtoie Maurice Genevoix, chacun d’eux est nommé, chacun d’eux y est précisément décrit et sa personnalité retranscrite fidèlement, leurs accents sont transposés à l’écrit et on prend pleinement conscience que sous les uniformes boueux et tâchés de sang, il y a des hommes et que derrière chaque acte de bravoure, une vie est en jeu. C’est d’autant plus terrible lorsqu’on se rappelle que malgré la beauté de la prose de l’écrivain, ce n’est pas une fiction qui se déroule sous nos yeux, mais bien la terrible réalité de la vie de nos grands-parents et arrière-grands-parents lors de cette effroyable guerre et chacun des protagonistes morts pour la France dans ces lignes possède une tombe dans une de nos nécropoles ou dans un cimetière bien réel.
Aussi, lorsque les combats sont décrits avec des détails dont on souhaiterait parfois être épargné, lorsque l’innommable horreur est retranscrite avec de justes mots, on aimerait se convaincre que ce n’est qu’une fiction. Certains paragraphes sont d’une insoutenable atrocité et l’on peine à comprendre comment dans un tel cauchemar, ces hommes trouvaient encore le courage et l’énergie pour se battre.
Puis viennent les moments de répit à l’arrière, et c’est un autre intérêt de Ceux de 14 qui nous offre une vision honnête de la vie à l’époque. Les soldats côtoient les civils dont on découvre les habitudes. On respire avec les soldats et on partage leurs instants de repos, leurs moments de légèreté et d’humour. On se prend d’affection pour certains d’entre eux, et on redoute alors le moment où ils retourneront en première ligne, de peur de découvrir qu’ils rejoindront la trop longue liste de ceux qui ne rentreront jamais de la guerre.
Ainsi, Ceux de 14 est un ouvrage inévitable pour saisir tous les aspects de la Grande Guerre depuis le front et pour comprendre la dure réalité par-delà l’imaginaire collectif. Le rythme maîtrisé et la beauté du style en font un livre agréable à suivre malgré la rudesse de certaines de ses pages.
Lire ce chef-d’œuvre de Maurice Genevoix, c’est prendre conscience du vécu des millions de soldats tombés au champ d’honneur, dont les noms ornent les monuments de nos communes et les tombes de nos nécropoles, et de ceux qui en sont revenus, marqués à jamais.
Nous espérons que cet article proposé par Robert Duboulans offrira à certains l’envie d’en apprendre plus sur la très complexe Première Guerre mondiale.