Cédric Gras, un auteur-voyageur français qui plaira à n’en pas douter aux lecteurs de Sylvain Tesson, raconte l’histoire des frères Evgueni et Vitali Abalakov, deux alpinistes russes qui multiplient les ascensions au nom du pouvoir soviétique dans les années 1930. Evgueni, le cadet, accède à la célébrité en atteignant en 1933 le sommet du Pic Staline. Il impressionne par son endurance et sa force physique. En 1938, Vitali, l’aîné, est arrêté par le NKVD et passe deux ans en prison dans le contexte des purges staliniennes avant d’être miraculeusement libéré. Il reste dans l’ombre de son cadet jusqu’à la mort de ce dernier en 1948, intoxiqué au gaz carbonique dans son appartement de Moscou. Vitali Abalakov poursuit sa carrière d’alpiniste et devient l’un des instructeurs soviétiques les plus renommés.

Une lecture passionnante qui nous plonge dans une époque marquée par le fanatisme et le culte de la personnalité. Les alpinistes soviétiques prennent des risques considérables afin de se laver de tout soupçon et prouver leur soumission au régime communiste. La Grande Terreur n’épargne personne, pas même les alpinistes les plus dévoués au régime collectiviste. Une période où règne l’injustice et l’absurdité, le tout au profit de l’avènement toujours repoussé du paradis communiste.

Le récit explore à travers le destin de ces deux frères la dualité entre l’alpinisme soviétique et celui pratiqué par les Occidentaux. L’alpinisme soviétique est collectif et réunit des prolétaires désignés par le gouvernement des équipes nombreuses. De lourdes expéditions assiègent les sommets pour les conquérir à la gloire des figures communistes Lénine et Staline. Les Occidentaux, eux, pratiquent déjà un alpinisme plus léger et individualiste issu d’une culture aristocratique.

Dans les années 1960, des alpiniades – des ascensions collectives communistes – se font en collaboration avec les Chinois maoïstes, qui démontrent un fanatisme et une soumission encore plus absolue que celle des Russes. Le lecteur découvre également une géographie souvent méconnue avec les massifs du Caucase et d’Asie centrale dans lesquels évoluent les alpinistes soviétiques, privés pendant longtemps de la possibilité de se mesurer aux 8000 mètres himalayens.

Le récit de ces ascensions force également l’admiration en raison du matériel rudimentaire utilisé à l’époque par rapport à ce dont nous disposons aujourd’hui. Cela n’empêchait pas ces hommes de réaliser des exploits en s’astreignant à une discipline de fer et à un conditionnement physique et mental rigoureux. Cédric Gras réussit à transmettre ce récit avec brio en mêlant la petite et la grande Histoire. Une lecture chaudement recommandée qui attise l’envie d’aventure et d’évasion tout en explorant une facette passionnante de l’histoire russe et soviétique.

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