Aujourd’hui, c’est avec grand plaisir que nous continuons notre partenariat avec l’Institut Iliade avec notre publication d’un vendredi sur deux.

Cette semaine nous découvrons un article sur la reine Marie-Antoinette.

Honnie de son vivant, victime des impitoyables fureurs révolutionnaires, elle était belle, jeune et insouciante. La tragédie de l’histoire s’est chargée de la rattraper. Elle est morte, un 16 octobre, en martyre. Digne de sa lignée, de son peuple et de son destin.

Peu de personnages de l’histoire de France ont suscité autant de passions que Marie-Antoinette, dont la vie, commencée dans les palais viennois, s’est tragiquement achevée dans la boue fangeuse du Paris révolutionnaire.

Princesse jugée tout à la fois frivole et manipulatrice par ses détracteurs, martyre injustement décriée aux yeux de ses partisans, elle est même devenue une sorte d’« icône universelle », une femme libérée et incomprise, à mi-chemin entre Sissi et Antigone. Un temps adulée par ses sujets avant d’être l’objet de toutes les avanies, elle semble surtout avoir été un pur produit de son milieu, une jeune ingénue imprudente, certainement coquette, et sans grande intelligence politique. Mais quels qu’aient pu être ses défauts ou ses faiblesses, tous s’accordent aujourd’hui à reconnaître qu’ils ne pesaient pas lourds dans la balance, comparés à ses malheurs et à son courage dans l’adversité.

L’archiduchesse Marie-Antoinette est le quinzième enfant de Marie-Thérèse d’Autriche et de François Ier. Tandis que sa mère, femme de tête à l’apogée de sa gloire, mène une active politique matrimoniale pour assurer à son abondante progéniture une place de choix dans les capitales européennes, la petite « Antonia » est élevée dans la simplicité des cours allemandes, entre les châteaux de la Hofburg et de Schönbrunn. En 1764, des pourparlers sont engagés avec Choiseul, le ministre de Louis XV, pour la marier au dauphin, afin de sceller la fameuse alliance franco-autrichienne de 1756. Une fois la chose assurée, l’impératrice se soucie alors davantage de l’instruction négligée de sa fille, « née pour obéir et devant apprendre en temps voulu à le faire ».

Car si Marie-Antoinette excelle dans les usages auliques comme la musique et la danse, elle ne maîtrise pas le français, peine à se concentrer et sa conversation est décousue. L’abbé Vermond, envoyé par Louis XV pour parfaire ses connaissances, ne peut que constater qu’« un peu de paresse et beaucoup de légèreté m’ont rendue son instruction difficile ». Même son frère Joseph, en dépit de l’affection qu’il lui porte, ne voit en elle qu’une « tête à vent » et sa mère doit se rendre à l’évidence : « Son âge demande de l’indulgence ».

« Née pour obéir et devant apprendre en temps voulu à le faire »

Marie-Antoinette n’a en effet que 14 ans lorsqu’elle arrive en France au printemps 1770. Elle ne peut s’en remettre qu’à son mentor, l’ambassadeur d’Autriche, le comte Mercy d’Argenteau, qui rend compte à Vienne des moindres détails de son quotidien. Malgré la profonde méfiance qu’inspire le rapprochement franco-autrichien, elle charme immédiatement tous ceux qui la rencontrent. Dans une cour vieillissante, on célèbre sa jeunesse, sa fraîcheur et surtout la grâce légendaire de sa démarche et de son port de tête. Même les Parisiens acclament la dauphine, à laquelle tout semble sourire.

Pourtant, passés les premiers étourdissements, les rigueurs du cérémonial de Versailles lui pèsent. Son lever donne lieu à un nombre incalculable de gestes codifiés et hiérarchisés, mettant à mal la pudeur de celle que l’on fera plus tard passer pour une horrible Messaline. Son coucher est ausculté à travers l’Europe entière. Tous en effet s’interrogent en effet sur la non-consommation, sept années durant, de cette union entre un trop jeune dauphin, le futur Louis XVI, assurément maladroit et inhibé, fuyant une épouse qui cherchait tout autant que lui à se dérober à ce qui est vécu comme une corvée. Il faut attendre la venue « incognito », en 1777, du frère de Marie-Antoinette, Joseph, chargé de sermonner les jeunes époux, pour que la situation évolue. Dès l’année suivante naissait Madame Royale. Elle allait devenir l’aînée des quatre enfants à l’éducation desquels, chose nouvelle, Marie-Antoinette voudra activement participer en leur inculquant les idéaux rousseauistes tels que la simplicité et la spontanéité.

Reine à 19 ans, face à la vieille cour de Versailles…

L’étiquette contraignante de la cour lui déplaît également et elle ne manque pas de le manifester. Elle refuse longtemps d’adresser la parole à la favorite de Louis XV, la Du Barry, et dédaigne d’illustres figures, s’attirant l’inimitié de la vieille cour. Reine à 19 ans, elle continue de privilégier ses désirs personnels aux dépens des contraintes qu’impose son rôle public. Aux représentations officielles, elle préfère les escapades à Paris, pour aller à l’opéra, les promenades nocturnes dans les jardins de Versailles pour assister au lever du soleil, et surtout le Trianon, que lui a offert le roi. À partir de 1774, c’est là son domaine, dont l’étiquette est bannie : « J’y vis en particulière ». Elle y reçoit ceux pour lesquels elle éprouve une folle amitié, car la mode est à l’épanchement des cœurs et à une certaine sensiblerie préromantique. Bénéficient ainsi de l’exclusivité de ses faveurs la princesse de Lamballe, surintendante de la Maison de la Reine, et surtout la duchesse de Polignac, qui sera nommée gouvernante des enfants de France, au détriment d’autres dames de haut rang de la cour. Des hommes sont aussi conviés dans cette petite société, parmi lesquels le séduisant aristocrate suédois Fersen auquel on a prêté une liaison avec la reine.

Le secret entretenu autour de ces réunions au Trianon ne manque pas de donner naissance à une série de critiques venimeuses de la part de ceux qui n’y sont pas admis. On y imagine une reine volage à la sensualité débridée, des relations incestueuses avec Artois, le frère du roi, mais aussi un goût pervers pour les femmes : autant de rumeurs donnant matière aux libellistes qui s’attaquent de plus en plus à Marie-Antoinette. Mais les pamphlets glissent sur le jeune reine qui, insouciante, se contente de jouer à la bergère ou de s’investir dans la décoration pastorale de son domaine.

En plus des anecdotes scandaleuses qui courent à son sujet, on reproche à « Madame Déficit » ses dépenses, supposées être responsables de la faillite de l’État. Elles étaient certes considérables, comme celles des autres membres de la famille royale d’ailleurs. Marie-Antoinette a ainsi beaucoup perdu au jeu qui a été quelques temps l’une de ses marottes. Sa garde-robe extravagante, son goût excessif pour les coiffures les plus extraordinaires ont assurément fait la richesse de la couturière Rose Bertin et de son coiffeur Léonard qui avaient leurs entrées dans ses appartements. Lorsqu’elle adoptera des tenues plus simples, on l’accusera, non plus de ruiner les dames françaises voulant l’imiter, mais de mettre à mal les soyeux de Lyon !

Il en va de même pour les bijoux. Louis XVI a dû quelquefois régler les dettes de son épouse qui les achetaient de façon compulsive, avant de réduire ces dépenses. Mais il est trop tard lorsqu’éclate, en 1785, l’Affaire du Collier qui lui fait enfin prendre conscience de son impopularité. En dépit de son innocence dans cette escroquerie montée par une mystérieuse comtesse de Lamotte, elle est totalement décrédibilisée aux yeux de l’opinion par l’acquittement, prononcé au parlement de Paris, des principaux protagonistes de cette histoire rocambolesque.

Bouc-émissaire facile de toutes les faiblesses de la monarchie

On lui reproche également son influence sur le roi, en lui attribuant en matière de politique bien plus qu’elle n’en a fait. Elle a certes voulu le renvoi du duc d’Aiguillon en 1774, mais il était déjà condamné à quitter la cour à la mort de Louis XV. Elle a également poussé Loménie de Brienne aux plus hautes charges. Mais elle n’a jamais par exemple obtenu le retour de Choiseul. Bien incapable d’imposer ses « vetos » au roi qui ne s’est jamais laissé manœuvrer, elle a en réalité mené une activité fébrile, sans grande cohérence.

Il en est de même dans le domaine des affaires étrangères, où son influence semble avoir été nulle. Sa mère, qui l’enjoignait à « rester une bonne Allemande », puis son frère, qui l’accablait de demandes incessantes, auraient souhaité en faire un agent au service des Habsbourg sur l’échiquier européen. Mais ce fut en vain. Ainsi quand Joseph intervient en Bavière, à la mort de son électeur, sans héritier, ou quand il veut forcer le monopole sur les bouches de l’Escaut, Louis XVI ne soutient pas l’expansionnisme de son beau-frère.

Faire de Marie-Antoinette le bouc émissaire responsable de toutes les faiblesses et de tous les échecs de la monarchie ne suffit pas à calmer la fermentation politique qui agite le royaume. L’incapacité du pouvoir à réformer la fiscalité entraîne bientôt la convocation des États Généraux, durant lesquels la reine, qui a déjà perdu une fille, ne peut même pas assister aux funérailles du dauphin. Insultée jusque dans Versailles par les poissardes, il lui faut, en octobre 1789, accepter de s’installer avec les siens aux Tuileries.

De là, elle assiste, impuissante, à l’enchaînement des événements révolutionnaires. À l’émigration des nobles et, depuis l’étranger, aux conspirations qui menacent la propre sécurité de la famille royale. À la constitution civile du clergé et à la division religieuse du pays, avec le retour du spectre de la guerre civile… Les rumeurs enfin qui lui font craindre d’être enfermée dans un couvent.

Un regain d’énergie dans l’adversité

Contrairement à Louis XVI, qui paraît souvent désemparé et irrésolu, la reine trouve néanmoins un regain d’énergie dans l’adversité. Elle semble ainsi être à l’origine de la fuite à Varennes qui, mal conduite, est un dramatique échec. Tandis que le comte de Provence  réussit à gagner la Belgique, le couple royal est ramené à Paris sous les huées. Événement capital qui ouvre un abîme définitif entre la royauté et un peuple révolté.

En septembre 1791, la constitution que Louis XVI doit accepter est aux yeux de la reine « monstrueuse », un véritable « tissu d’absurdités ». Elle ne conçoit qu’un retour à l’ordre antérieur, jouant une sorte de double jeu. Elle se rapproche du député Barnave, visiblement fasciné, qui cherche à la convaincre du bien-fondé de la monarchie constitutionnelle. Mais, dans le même temps, elle double sa correspondance de suppliques aux puissances étrangères, défendant l’idée dangereuse d’une démonstration militaire – et non pas d’une invasion qui conduirait à l’amputation du royaume – pour effrayer les Français.

La déclaration de guerre à l’Autriche, en avril 1792, conduit à une nouvelle dégradation de sa situation. Lorsque, le 20 juin, les Tuileries sont envahies une première fois, elle craint pour ses enfants. Quelques semaines plus tard, la publication du « manifeste de Brunswick » qu’elle appelait tant de ses vœux, précipite les événements : en menaçant de représailles ceux qui s’attaqueraient à la famille royale, ce texte stupide lance les sans-culottes à l’assaut du palais et sonne le glas de la monarchie.

Après avoir trouvé refuge à l’Assemblée, c’est depuis sa prison de la tour du Temple que le couple royal assiste à sa déchéance et à la proclamation de la république. Au moins aura-t-il ainsi été à l’abri du délire sanguinaire des massacres de septembre, durant lesquels la princesse de Lamballe est sauvagement tuée pour avoir refusé de jurer la haine du roi et de la reine. La foule vient alors montrer sa tête, plantée sur une pique, sous les fenêtres de Marie-Antoinette.

Combien d’épées pour la sauver ?

Le nouveau régime ne met pas un terme aux épreuves qui devaient avoir raison de Louis Capet, comme on l’appellerait désormais, et de sa femme. La découverte de l’« armoire de fer » et de la correspondance – bien anodine – du souverain avec des hommes comme Mirabeau et La Fayette, permet de façon opportune de faire juger le roi. Séparé des siens durant tout le temps du procès, il ne revoit sa femme et ses enfants que brièvement la veille de son exécution, le 21 janvier 1793. Sa mort laissa longtemps Marie-Antoinette, de surcroît malade, dans un état de totale prostration.

Oubliée un temps par la fureur révolutionnaire, elle espère être échangée, mais c’était sans compter la profonde indifférence à son égard du nouvel empereur, son neveu François II. Les succès de la coalition formée contre la France et la trahison de Dumouriez la rappellent au bon souvenir de Robespierre et d’Hébert, qui réclame ouvertement sa tête.

Au début de l’été 1793, on lui enlève son fils de huit ans, le petit Louis XVII, avant de la transférer à la Conciergerie, antichambre du tribunal révolutionnaire. C’est là qu’elle doit supporter quelques mois plus tard une mascarade de procès. Transfigurée et les cheveux « blanchis par le malheur » (elle n’a que 38 ans), elle est mise en accusation trente heures durant. Elle conserve un calme marmoréen, du moins jusqu’à ce qu’on l’accuse d’inceste avec son fils. Elle en appelle alors de façon pathétique aux mères de France. Sa dignité impressionne l’assistance et exaspère les plus fanatiques, qui y voient, comme Le Père Duchesne, « de l’audace et de l’insolence ».

Condamnée à mort, promenée deux heures durant sur une charrette, elle est guillotinée le 16 octobre par le fils du bourreau de Louis XVI, avant que son corps, la tête entre ses jambes, ne soit quelque temps abandonné dans l’herbe du cimetière de la Madeleine.

« Dans une nation de galanterie, dans une nation composée d’hommes d’honneur et de chevaliers, je croyais que 10 000 épées seraient sorties de leurs fourreaux pour la venger même d’un regard qui l’aurait menacée d’une insulte ! Mais le siècle de la chevalerie est passé », déplorait Burke dès 1790, dans ses Considérations sur la Révolution française. Trois ans plus tard, en pleine Terreur, rares sont ceux qui ont essayé de la sauver, au grand désespoir du seul chevalier qui ne l’ait jamais servie, Axel de Fersen.

Sa mort et son courage sur l’échafaud lui auront néanmoins rendu la dignité dont les pamphlets et les épreuves l’avaient privée.

Emma Demeester

Bibliographie

  • Stefan Zweig, Marie-Antoinette, 1933, rééd. Livre de Poche, 1999.
  • Jean-Christian Petitfils, Louis XVI, Perrin, 2005.
  • Evelyne Lever, C’était Marie-Antoinette, Fayard, 2006.
  • Jean-Clément Martin et Cécile Berly, Marie-Antoinette, Citadelles et Mazenot, 2010.

Chronologie

  • 1755 : Naissance de l’archiduchesse Marie-Antoinette à Vienne.
  • 1770 : Mariage avec le dauphin Louis.
  • 1774 : A la mort, de Louis XV, elle devient reine de France.
  • 1778 : Naissance de Madame Royale.
  • 1785 : Affaire du Collier.
  • 1789 : Début de la Révolution ; mort du dauphin.
  • 20 juin 1791 : Fuite à Varennes.
  • Septembre 1792 : Proclamation de la république.
  • 21 janvier 1793 : Exécution de Louis XVI.
  • 16 octobre 1793 : Exécution de Marie-Antoinette.

Photo : Marie-Antoinette, portrait par Élisabeth Vigée Le Brun, 1783 (détail). Collection du prince Ludwig von Hessen und bei Rhein, château de Wolfsgarten, Allemagne. Domaine public.

Lien original de l’article.