Le royaume de Macédoine : de barbare à première puissance grecque

Le royaume de Macédoine intégra la civilisation grecque sous le règne d’Alexandre Ier (498-454)* en révélant le plan perse à la ligue grecque durant la bataille de Platées (479). Cet affrontement, remporté de ce fait par la ligue grecque contre l’Empire perse achéménide**, fut le dernier de la Seconde Guerre médique (480-479). Alexandre Ier fut affublé du surnom « Philhellène » quand bien même il avait été du côté perse toute la guerre durant, par pragmatisme. Une ère de prospérité se présenta ensuite à la Macédoine sous le règne du roi éclairé Archélaos (413-399) qui réforma l’Etat et l’armée, tout en profitant du fait que les Grecs plongeaient dans la guerre du Péloponnèse (431-404) pour s’imposer en Grèce. Philippe II de Macédoine monta sur le trône, d’abord en tant que tuteur, en 359. Cinq prétendants menaçaient son trône et son royaume était menacé aux quatre points cardinaux. Pour se défendre, il créa la phalange macédonienne durant l’hiver 359-358.

*Sauf indication contraire, toutes les dates de cet article sont sous-entendues avant Jésus Christ.

**Notons qu’avant l’Empire romain, le terme « empire » n’existait pas. Toutes ces structures politiques sont donc des royaumes bien qu’elles possèdent souvent toutes les caractéristiques d’un empire. Le souverain achéménide était ainsi le Roi des rois ou Grand roi. Le concept politique a largement précédé Rome. Je ne ferai pas toujours la différence par simplicité.

Résumé des guerres médiques (490-479 av. J.C)

Philippe épousa Olympias. Alexandre naquit de cette union. Philippe réforma l’armée sur le modèle grec et agrandit le territoire du royaume de Macédoine, conquérant le territoire au nord, la Thrace à l’est et la Thessalie au sud. Sa puissance montait au détriment d’Athènes. Surtout, Philippe gagna un siège au Conseil amphictyonique* et se confronta à Périnthe et Byzance (à l’est), soutenues par Athènes. Il ambitionnait l’hégémonie sur la Grèce pour mener une guerre contre l’Empire perse achéménide. Alexandre, lui, impressionnait déjà et avait la confiance de son père pour exercer la régence du royaume malgré son jeune âge.

*Ligue religieuse chargée des sanctuaires de Delphes (pour Apollon) et des Thermopyles (pour Déméter).

Assassinat de Philippe II : un futur cosmocrator hérite du défunt hégémôn

Empire perse achéménide et son évolution
Philippe II de Macédoine, roi de 359 à 336 av. J-C

Philippe II de Macédoine parvint, notamment par sa victoire à la bataille de Chéronée en 338*, à vaincre la Grèce pour lui imposer sa tutelle. Cette soumission de la Grèce à la Macédoine (sauf Sparte, dans un premier temps) prit la forme de la ligue de Corinthe. Seulement voilà, lui qui voulait affronter l’Empire perse achéménide (qui était passablement instable) fut assassiné en 336. Son fils, Alexandre III, prit alors la couronne du royaume de Macédoine. Soulagée, la Grèce pensait cette soumission aux Macédoniens terminée. Un si jeune roi ne pouvait plus les contraindre ! Les généraux de Philippe II conseillèrent à Alexandre III de d’abord prendre le temps de stabiliser la situation interne du royaume. Le jeune roi n’en voulut rien entendre. Il passa deux années à rétablir l’assujettissement de la Grèce (excepté Sparte). Une fois cette domination rétablie, il se réappropria les projets de son paternel. En 334, il était enfin prêt.

*A laquelle Alexandre participa. Il s’y vit confier par son père un rôle clé.

La Grèce sous domination macédonienne (pas l’intermédiaire de la Ligue de Corinthe)

Alexandre distribua toutes ses richesses, car il ne comptait pas revenir, et partit sans laisser d’héritier, au grand dam de sa mère. Son trésor était vide, il avait de l’argent pour moins d’un mois de campagne, de la nourriture pour juste un mois. Son objectif était avant tout de libérer l’Asie Mineure et d’en faire une seconde Grèce, d’écarter la menace perse et de faire de la mer Egée la mer des Grecs. Ses ambitions allaient jusqu’à la Syrie, voire l’Egypte car il se pensait fils de Zeus-Ammon (Ammon étant une divinité de premier plan des Egyptiens). Ainsi, l’invasion de l’Egypte, qui fut regardée par beaucoup comme un détour, était peut-être son objectif initial. Il n’avait pas pour volonté de détruire l’Empire perse, seulement de le rejeter à l’Est, loin de la Méditerranée.

Alexandre comptait s’appuyer sur l’Asie Mineure, assez hellénisée et prête à se soulever, puis sur les Juifs de Palestine, également favorables au départ des Perses et enfin sur l’Egypte très hellénisée. Cette dernière s’était récemment rebellée contre le pouvoir perse au point de s’en départir de 404/402 à 343 ! La reconquête achéménide datait d’une décennie à peine. Alexandre partait avec 30 000 fantassins et 5 000 cavaliers. Alexandre laissait par ailleurs la régence de la Macédoine à l’excellent général Antipatros (nous avons francisé le nom en Antipater) – qui avait servi Philippe II – avec 12 000 hommes et 1 500 cavaliers, une force bien insuffisante. L’armée d’Alexandre était largement macédonienne, excepté la cavalerie pour partie thessalienne et quelques centaines de fantassins de différentes cités grecques.

Le Granique et l’invasion de l’Asie Mineure : coup de semonce.

Alexandre partit de Macédoine en avril 334 pour ne plus y revenir. A 21 ans et 9 mois, il s’apprêtait à envahir le plus grand empire que le monde avait alors connu. Empire dont Darius III Codoman était le Roi des rois depuis qu’il avait usurpé le pouvoir en 336 (Artaxerxès III fut assassiné en 338 et son fils Arsès après lui en 336, Darius était d’une branche collatérale de la dynastie des Achéménides). Darius méprisait le jeune roi macédonien et ne le prenait pas au sérieux. Alexandre traversa l’Hellespont et s’attela à la libération de l’Asie Mineure. Très vite il affronta une première armée perse. Celle-ci était envoyée par Darius III mais commandée par le mercenaire grec Memnos. L’armée perse, selon les sources, aurait été trois fois plus grande que celle d’Alexandre (donc environ 100 000 hommes), quand d’autres portent ses effectifs à 20 000 fantassins et un peu moins de 20 000 cavaliers (dont nombre de mercenaires grecs malgré la convention de Corinthe interdisant à tout grec de prendre les armes contre le roi de Macédoine) ; soit 40 000 hommes face aux 35 000, dont 5 000 cavaliers, d’Alexandre.

Itinéraire d’Alexandre jusqu’à Halicarnasse et passant par le Granique

Sitôt arrivé devant l’armée perse, le roi de Macédoine ordonna d’attaquer, malgré la marche épuisante juste exécutée. Pour cela, en plus de la fatigue, les Macédoniens devaient franchir le Granique, peu profond mais formant tout de même un obstacle. L’ordre d’attaquer incessamment tint aussi au soleil qui, couchant, aveuglait les Perses alors qu’attendre l’aube aurait inversé la donne. Alexandre décida de d’abord lancer sa cavalerie, les Compagnons, qu’il dirigeait personnellement. Les Perses alignèrent leur puissante cavalerie en première ligne pour répondre au mouvement macédonien. Alexandre chargea en deux colonnes et engagea la bataille sans stratégie particulière.

Surexcité, le roi fut blessé à plusieurs reprises mais tua plusieurs adversaires dont le beau-fils de Darius III, Mithridate ; le frère de ce dernier (Rhoisakès) et manqua de tuer Spithridate, gouverneur général de Lydie et d’Ionie. Parménion, général macédonien, profita du combat de cavalerie pour faire avancer ses fantassins contre ceux de l’adversaire. Devant le roi macédonien en furie, les cavaliers perses s’enfuirent finalement. Seuls les fantassins mercenaires grecs luttèrent jusqu’au bout : ils savaient qu’Alexandre serait, pour eux, sans pitié. Et effectivement il les massacra presque tous et réduisit la majorité des survivants en esclavage. La bataille du Granique s’achevait ainsi sur une victoire nette des Macédoniens en 334 av. J-C.

Bataille du Granique (mai 334 av. J.C)

Fort de ce premier triomphe, Alexandre libéra tout le littoral jusqu’à Halicarnasse. Il buta sur Milet, ville portuaire réfractaire. Milet proposa sa neutralité. Sachant qu’une flotte de 400 vaisseaux perses rodait dans le coin et pouvait fondre sur la flotte d’une centaine de navires d’Alexandre, cette proposition était inacceptable : c’eut été fragiliser ses arrières. Alexandre assiégea et captura la ville, non sans pertes, en massacrant ses habitants. La résistance de Milet lui indiqua au moins que son idée d’unir tous les Hellènes était illusoire. Il rencontrerait toujours des Grecs réfractaires. Pour cette raison, il proposa à des mercenaires Grecs de rejoindre ses rangs. Ils en furent agréablement surpris et acceptèrent. Par ailleurs, face à une si puissante flotte perse et faisant davantage confiance à sa force terrestre, Alexandre désarma sa flotte. Ce n’était pas idiot : entretenir une flotte coûtait extrêmement cher. Mais ce n’était pas sans conséquences, nous le verrons. La flotte perse requérait 80 000 hommes, parmi lesquels relativement peu de guerriers, pour le fonctionnement de ses 400 bâtiments (des trirèmes majoritairement). Alexandre préféra s’emparer des littoraux pour que dépérisse en mer la flotte perse en la privant de combats et de ports.

Alexandre le Grand et le nœud Gordien, représentation

Il mit alors le siège sur la magnifique cité d’Halicarnasse, défendue par Memnos. Il l’enleva finalement par la ruse. Pendant que Parménion prenait l’intérieur des terres d’Asie Mineure, Alexandre faisait tomber le littoral, au péril de sa vie. Le roi macédonien était en train de se forger une réputation d’invincibilité. C’est au cœur de la Phrygie, région soumise par Parménion, qu’Alexandre fut confronté au fameux nœud Gordien après avoir pris la ville de Gordion. La prophétie disait que quiconque parviendrait à défaire le nœud gordien (celui du chariot de Gordius, un paysan révolté devenu roi de Phrygie) serait maître de l’Asie. Alexandre trancha le nœud de son épée. Il n’était pas spécifié comment le nœud devait être défait. Une autre version de l’histoire dit qu’il s’attela réellement à la tâche et le dénoua en profitant de la faiblesse du vieux chariot.

Itinéraire d’Alexandre d’Halicarnasse à Issos

Déjà, un complot contre Alexandre fut découvert et un autre soupçonné alors que le roi était tombé malade. C’était le début d’une longue série. Simultanément, les Perses décidèrent, avec les Spartiates, d’attaquer la Macédoine par la mer. Mais Antipater triompha de la flotte achéménide au large de la Thrace. Alexandre commençait à regretter d’avoir démantelé sa flotte. Après avoir soumis une large partie de l’Asie Mineure, le roi macédonien se présenta aux portes de la Syrie. Là l’attendait Darius III, à la tête d’une nouvelle armée. En fait, Darius était même sur ses arrières. Alexandre devait choisir entre avancer péniblement avec un danger sur ses arrières ou revenir sur ses pas pour affronter une armée bien supérieure en nombre. Il opta pour la seconde option. Ainsi débuta la bataille d’Issos en 333.

Issos, échec au Grand Roi

L’armée perse était hétérogène et trop grande pour correctement manœuvrer sur la plaine d’Issos*. Alexandre l’avait très bien compris. Pourtant, l’armée perse, forte de 300 000 à 600 000 hommes selon les auteurs antiques et moins de 300 000 selon les études modernes, allait affronter moins de 30 000 macédoniens ! Alexandre disposa Parménion sur la gauche et lui-même se plaça à droite, aux pieds des montagnes, avec les Compagnons. Les fantassins étaient au centre. Darius était, lui, sur son char, derrière le centre de sa ligne, entre ses gardes. Son centre était composé de mercenaires grecs, ses ailes de Perses. Son plan était d’envelopper les Macédoniens avec son aile droite, proche de l’eau, en enfonçant l’aile de Parménion. Comprenant cela, Alexandre fit nombre de sacrifices aux dieux en faveur de son général et lui envoya des cavaliers thessaliens en renfort.

*Issos est plus connue sous son nom latin : Issus.

Il le fit sans pour autant trop dégarnir son aile, avec laquelle il comptait enfoncer l’ennemi. En somme, un plan exactement inverse à celui de Darius III, à la précision près que le roi de Macédoine ne voulait pas envelopper l’armée perse mais simplement tuer Darius pour désorganiser ses adversaires. C’était là sa stratégie favorite. Encore une fois, cette bataille d’Issos en 333 ne fut pas un exemple de stratégie. Darius attendait en position défensive, son centre protégé par des barricades. Alexandre, après un discours enflammé, chargea avec son aile droite l’aile gauche adverse. Il enjamba pour cela le fleuve peu profond qui barrait la route. Les centres entrèrent en collision. Alexandre avait le dessus de son côté, le combat était égal au centre mais les Macédoniens reculaient du côté de Parménion.

Représentation de la bataille d’Issos (333 av. J.C)

Faisant reculer l’aile gauche perse, Alexandre put assaillir le centre perse sur le flanc, lui donnant l’avantage au centre. Surtout, Alexandre s’attaqua directement à la garde de Darius, voire, selon certaines sources, à Darius lui-même. Quoi qu’il en soit, la rumeur de la mort de Darius suscita le désordre dans l’armée perse qui progressait pourtant franchement contre Parménion. Darius n’était pas mort mais en fuite. Il avait laissé, dans la précipitation, son manteau, son bouclier, son char et sa famille. Toute l’armée perse partit en déroute. Les pertes sont difficiles à estimer et souvent exagérées, allant du simple au double selon les sources. Les plus fiables d’entre elles indiquent plus de 100 000 pertes* chez les Perses pour 200 à 450 tués et 500 à plusieurs milliers de blessés macédoniens. Autant les chiffres pour la Macédoine sont réalistes, autant celui de 100 000 pertes est certainement très exagéré.

*Notons que le terme de perte, militairement parlant, compte tous ceux qui sont définitivement ou momentanément hors combat : tués, blessés, malades, prisonniers, disparus.

De Tyr à Memphis, Alexandre le Grand atteint ses objectifs levantins

Représentation de l’île-cité de Tyr

Après avoir vaincu par deux fois les armées achéménides (Granique en 334 et Issos en 333), Alexandre s’attela à l’invasion de la Syrie. L’île-cité de Tyr essaya alors d’imposer sa neutralité. Le conquérant macédonien, irrité, s’en alla mener le siège de Tyr de janvier à juillet 332. Alexandre fit bâtir une digue pour rejoindre l’île, expliquant le fait que Tyr soit aujourd’hui une presqu’île. L’île-cité, après une résistance acharnée, finit par tomber et un massacre y fut perpétré par les Macédoniens. Le message était clair : Alexandre ne tolérerait aucune résistance. Gaza, en Palestine, se décida pourtant également à résister. Bien moins robuste que Tyr, Gaza céda plus rapidement et n’échappa pas au massacre.

Darius et Alexandre s’échangeaient des lettres insolentes. Alexandre était jeune et imbu de lui-même. Il se vantait souvent de ses exploits sur le champ de bataille, surtout quand il avait bu. Notons également que sa capacité administrative était impressionnante : il gérait lui-même la plupart des affaires dans son empire en expansion. Parménion, avant le siège de Tyr, était allé prendre une partie du trésor achéménide à Damas. Alexandre poursuivit alors son chemin jusqu’à l’Egypte et fut reçu en libérateur à Péluse puis à Memphis, la capitale. Le bruit que le fils de Zeus-Ammon arrivait les délivrer des Perses courait en Egypte. Par droit de conquête mais aussi de filiation, étant le fils du dieu Ammon, Alexandre reçut le trône de Memphis. On notera qu’Alexandre ne se fit roi d’aucun des territoires qu’il traversa jusqu’à l’Egypte, indiquant qu’il atteignait peut-être là son objectif.

Ainsi, Alexandre devint pharaon. Il était « Roi épervier (ancienne tribu des Éperviers) Hiq-Quennu » (Prince de la Victoire) mais également « roi roseau et roi guêpe Meri-Ammon Satepen-re » ou « Bien-aimé d’Ammon, Elu du dieu Soleil », le roseau symbolisant la Haute-Egypte et la guêpe la Basse-Egypte. Il reçut également des titres pharaoniques comme « Seigneur de Deux Pays » et « Seigneur des Ascensions ». Alexandre profita de son séjour en Egypte pour fonder la plus rayonnante des Alexandrie, face à l’île Pharos. Il ne manqua pas non plus de passer voir l’oracle du dieu Ammon, à Siouah. Le conquérant aurait pu s’en retourner en Macédoine si Darius III n’avait pas rassemblé une nouvelle grande armée en Mésopotamie. L’épopée n’était pas terminée, les Achéménides avaient encore de la ressource.

Itinéraire d’Alexandre entre Issos et Babylone (333-331 av. J.C)

Gaugamèles, échec et mat

Alexandre partit en avril, ce qui était une terrible erreur : c’était marcher des centaines de kilomètres lors de la saison la plus chaude dans une zone désertique. L’armée grecque souffrit le martyr jusqu’à arriver proche de la Mossoul actuelle, à la plaine de Gaugamela (Gaugamèles). Elle faisait là face à la grande armée de Darius. Les estimations prêtent aux Perses de 200 000 fantassins et 45 000 cavaliers à 1 000 000 de fantassins et 100 000 cavaliers. Sachant l’armée d’Alexandre forte de 40 000 fantassins et 7 000 cavaliers, il est improbable que l’armée de Darius ait dépassé 100 000 ou 150 000 hommes. La supériorité numérique perse n’en était pas moins insupportable aux Macédoniens.

Cependant, on peut avancer que la tactique des phalanges macédoniennes, répondant aux principes des mathématiques et de la logique, si chers aux Grecs, était supérieure aux formations perses. Si la civilisation grecque n’était pas globalement supérieure à celle de l’Empire achéménide, elle l’était sur la question de la stratégie militaire. Surtout, les Macédoniens savaient leurs savantes formations grecques supérieures, chose vérifiée par deux fois déjà sur le champ de bataille. Ainsi, les Macédoniens étaient convaincus de leur supériorité mentale tandis que le moral des Perses n’était pas reluisant. Et pour cause : il est dit qu’une éclipse précéda le jour de l’affrontement, gage de défaite pour l’armée achéménide, composée d’un peuple qui accordait une très grande importance au ciel et aux dieux.

Le 1er octobre 331, la bataille de Gaugamèles débuta. Alexandre dirigeait l’aile droite, il savait le terrain au centre potentiellement truffé de chausse-trappes destinés à enrayer ses fameuses charges de cavalerie des Compagnons. Il se dirigea avec son aile vers la droite, c’est-à-dire avec de l’infanterie d’élite et ses Compagnons, pour attirer l’aile gauche perse loin du combat. Et effectivement, la cavalerie perse s’étira en miroir d’Alexandre pour empêcher tout débordement, formant un arc de cercle. Alors que les centres se rencontraient au milieu du champ de bataille et que l’aile gauche aux ordres de Parménion allait au contact de son vis-à-vis perse, Darius lança ses chars contre l’infanterie d’élite qui suivait le mouvement d’Alexandre. Les assaillants perses furent massacrés. Darius insista en envoyant des cavaliers pour agrandir l’arc de cercle et attaquer Alexandre sur sa droite. Le roi perse souhaitait profiter de sa supériorité numérique pour prendre Alexandre à son propre jeu.

Représentation de la bataille de Gaugamèles (1er octobre 331 av. J-C)
Schéma tactique de la bataille de Gaugamèles (octobre 331 av. J-C)

Pour cela, il aurait fallu que Darius comprenne le jeu du macédonien en premier lieu car, ce faisant, il ouvrit une brèche entre l’arc de cercle formé par son aile gauche et le centre de son armée. Alexandre s’y engouffra, menant son habituelle charge, jusqu’à Darius. Tuant lui-même le conducteur du char de Darius, il provoqua la fuite du Grand Roi. Mais il ne pouvait le traquer car il devait secourir Parménion qui souffrait à gauche. Le mouvement d’Alexandre avait découvert le flanc de son général et celui-ci affrontait l’excellent général perse Mazée. Ayant sauvé sa gauche et mis toute l’armée perse en déroute, Alexandre poursuivit avec acharnement mais tardivement ses adversaires, ne pouvant leur infliger une défaite complète. Alexandre en voulut à Parménion. Les historiens antiques donnent entre 40 000 et 300 000 morts Perses et entre 300 et 500 morts Macédoniens. Les chiffres de 40 000 et 500 sont sûrement les plus proches de la vérité. En parallèle de cette victoire, le roi spartiate Agis III fut vaincu et tué en Grèce par Antipater alors qu’il attaquait la Macédoine. Athènes n’avait pas bougé.

De Darius III à Spitamène, une traque dans le plus vaste des empires d’alors

La bataille de Gaugamèles, en octobre 331, scella le destin de Darius III. Dès sa victoire acquise, Alexandre débuta une véritable traque. Le roi de Macédoine voulait rattraper Darius III pour prendre sa place et gouverner le monde. Dans cette frénétique poursuite, Alexandre entra dans les capitales de l’Empire perse achéménide sans coup férir : Babylone, Suse, Persépolis et Ecbatane. A Persépolis, Alexandre laissa ses hommes massacrer la population et piller la ville. Le motif : une vengeance pour les guerres médiques. La vraie raison : il fallait laisser les soldats amasser du butin et assouvir leurs plus bas désirs.

Itinéraire d’Alexandre de Babylone (331) à Babylone (324)

Bessos (Bessus en latin), cousin de Darius, trahit le Grand roi. Il nourrissait le projet de le livrer mais finit par le tuer en juillet 330. Alexandre, qui n’avait pas souhaité cette finalité, se devait de poursuivre Bessos qui s’était proclamé Artaxerxès IV et avait la légitimité nécessaire pour revendiquer le trône. Cette traque mena les Macédoniens à l’extrémité orientale de l’Empire perse, en Sogdiane et en Bactriane. Les Macédoniens montraient des signes de lassitude et, plus grave, acceptaient mal l’orientalisation d’Alexandre. Ce dernier adoptait de plus en plus les traditions asiatiques, ce qui, du reste, facilitait la conquête : les Perses voyaient leurs us et coutumes respectées. Alexandre demandait désormais à ses hommes la proskynèse. C’était un problème de taille car les Grecs, comme les Macédoniens, montraient leur fidélité au souverain par un baisé sur la main, non à genoux, en abaissant leur menton jusqu’à ce qu’il touche le sol (proskynèse), ce que faisaient les Perses. Les tensions furent telles qu’Alexandre abandonna l’imposition de la proskynèse.

Représentation d’Alexandre découvrant la dépouille de Darius III

Le fait qu’Alexandre se croie un demi-dieu et se comporte comme tel, voire carrément comme une divinité, ne heurtait pas les Grecs mais choquait les Macédoniens. Cette orientalisation allait être la source de plusieurs complots qu’on ne détaillera pas ici, faute de place. Alexandre souhaitait également trouver l’Océan Extérieur : la limite du monde. Bessos fut finalement livré au roi. Il fut remplacé dans la dissidence par un certain Spitamène en 329. Celui-ci, noble sogdien, pensait arrêter Alexandre en livrant Bessos et mena la résistance en constatant qu’il avait tort.

Alexandre fit taire, non sans mal, les rébellions de Sogdiane et Bactriane. Le roi de Macédoine fit particulièrement sensation en prenant l’Heptapole en quelques jours : une ceinture de sept forteresses aux confins nord-est de l’Empire achéménide. Il traversa l’Iaxarte et lutta contre les Scythes mais ne trouva toujours pas le bout du monde. Alexandre, déjà, devait rebrousser chemin pour lutter à Maracanda (Samarcande) contre Spitamène. Pacifier la Sogdiane et la Bactriane occupa les Macédoniens jusqu’au début de 327. De fait, Spitamène avait trouvé la mort fin 328, ôtant à la résistance son âme.

Une dernière chevauchée vers le bout du monde

Les ambitions d’Alexandre le tournèrent vers l’Inde. Comme toujours, il cherchait à atteindre l’Océan Extérieur et la limite du monde. En s’alliant avec Omphis, un prince local, il se trouva à faire la guerre à un autre prince indien : le radjah Pôros*. L’Indus franchi, Alexandre trouva Pôros campant sur la rive opposée d’un fleuve nommé Hydaspe, avec 20 à 50 000 fantassins, 4 000 cavaliers, des centaines de chars et 300 éléphants. Attaquer frontalement le radjah indien revenait à traverser l’Hydaspe devant l’ennemi et promettait un échec cuisant. Alexandre décida de faire diversion : il laissa face à Pôros le gros de son armée avec le général Cratère. Le roi s’en alla, lui, plus au sud, accompagné de 12 à 14 000 hommes, dont 5 000 cavaliers. Il traversa où le fleuve était moins large. Tout ceci se faisait sous une pluie torrentielle, durant un orage, de nuit : Alexandre avait le malheur d’attaquer son adversaire durant la saison des pluies, à la mi-juin (ce qu’on appelle désormais la mousson, une saison qui s’étend de juin à septembre en Inde).

*Pôros est plus connu sous son nom latin : Porus.

Alexandre le Grand (356-323 av. J-C), roi de Macédoine (336-323 av. J-C), pharaon d’Egypte (331-323 av. J-C) et Grand Roi de perse (330-323 av. J-C)

Le roi macédonien misa tout sur une attaque surprise. Sa manœuvre, pourtant, fut découverte car trop lente. Le radjah indien attendait, de fait, des renforts d’un autre radjah (provenant du Cachemire) qui devait soutenir Pôros en arrivant depuis cette même direction. Renforts dont Alexandre n’avait pas soupçonné l’existence. Si le roi de Macédoine avait attaqué plus tard, il aurait eu à affronter une masse bien plus importante d’ennemis. Pôros envoya une avant-garde contre Alexandre, menée par un de ses fils. Mais il avait sous-estimé le nombre des Macédoniens. L’avant-garde fut facilement écrasée et le fils du radjah y perdit la vie. Pôros, apprenant la mort de son fils, décida de laisser une petite partie de son armée face à Cratère et d’en jeter la majeure partie dans la mêlée (30 000 fantassins, 4 000 cavaliers, 300 chars et 200 éléphants) pour submerger les phalanges macédoniennes.

Bataille de l’Hydaspe (326 av. J-C)

Ainsi débuta la bataille de l’Hydaspe (326), la première grande bataille depuis Gaugamelès (331). Alexandre disposa son infanterie au centre, entourée de deux ailes constituées de cavaliers. Il ordonna à la cavalerie d’aller au-delà des ailes ennemies puis de les attaquer sur leurs arrières, de manière à être le plus loin possible des éléphants indiens, placés en première ligne, qui faisaient peur aux chevaux. Pour s’assurer que les cavaliers indiens ne leur couperaient pas la route prématurément, il envoya les cavaliers montés Scythes harceler les flancs de l’armée de Pôros. L’infanterie devait avancer pour affronter les éléphants et les fantassins adverses. Sa manœuvre fut un succès mais très vite le combat devint confus. L’armée d’Alexandre commença à encercler l’armée indienne. Celle-ci se faisait de plus piétiner par ses propres éléphants dont une majorité avait péri. Pôros montait l’un de ces éléphants.

Le reste de l’armée macédonienne parvint à traverser sous la direction de Cratère et l’armée indienne partit en déroute. Pôros, qui avait perdu un deuxième fils dans le combat, refusait de se rendre. Il lutta jusqu’à la fin, tenta de s’échapper mais fut finalement rattrapé. Le bilan de cette bataille faisait état de 12 à 23 000 Indiens tués alors qu’Alexandre perdait 700 fantassins et 300 cavaliers. Le roi de Macédoine y avait également perdu son fidèle destrier : Bucéphale. L’armée de soutien du radjah du Cachemire fit demi-tour en apprenant l’issue de la bataille de l’Hydaspe et annonça sa soumission. Alexandre admirait le courage et le caractère de Pôros. Il eut à cœur de s’en faire un ami. De ce fait découla l’interdiction de piller les territoires de Pôros. Alexandre força Omphis et Pôros à régler leurs différends.

L’ambition démesurée à l’épreuve de la lassitude des hommes : le tournant

Alors qu’Alexandre continuait sa route, il se confronta au seul obstacle qu’il ne pouvait surmonter : son armée refusa de franchir l’Hyphase et d’avancer plus en avant dans la jungle indienne. Il fut contraint de rebrousser chemin au soulagement de sa troupe. Alexandre ne perdait pourtant pas son objectif de vue. Il décida ainsi de longer le Golfe persique plus au sud, un bout de l’Océan Extérieur selon lui. D’ailleurs, il est plus probable qu’Alexandre n’ait pas été contraint par ses soldats mais ait choisi de consolider la façade maritime de son empire. Pour cela, il décida de traverser, en septembre-octobre 325, le désert de Gédrosie (Mekren aujourd’hui), l’une des régions les plus hostiles du monde. Il y fit passer une partie de son armée tandis qu’une autre partie empruntait un chemin bien plus aisé au nord sous la férule de Cratère et que son navarque*, Néarque, dirigeait la flotte dans le Golfe persique. Ceux qui le suivirent dans le désert souffrirent le martyr. Ils arrivèrent à Suse épuisés. Après tout, Alexandre n’avait-il pas, en dix ans, parcouru 35 000 kilomètres ?

*Un navarque est un amiral dans l’Antiquité et depuis la Grèce antique. Le terme amiral est dérivé de l’arabe. Il apparait chez les Normands de Sicile puis dans la langue française au XIIIe siècle.

Le monde tel que l’imaginaient les Grecs et le fameux Océan Extérieur

Restauration de l’Empire macédonien et métissage des peuples

De retour d’Inde, Alexandre retrouva son empire en lambeaux. L’absence prolongée du conquérant y avait semé la corruption et excité les ambitions. Alexandre aurait-il perdu son empire s’il avait envahi l’Inde ? En 324 av. J-C, Alexandre s’attela alors à la tâche de restaurer son autorité sur ses terres. Mais là n’était pas son plus grand projet. Celui qui, désormais, se disait un dieu, voulait opérer une fusion des cultures occidentale et orientale. Pour cela, il organisa les noces de Suse : 10 000 mariages entre ses guerriers et des femmes perses. Il voulait créer une aristocratie mixte. Après quoi, il voulut intégrer à son armée occidentale des éléments orientaux. Le refus de son armée fut catégorique et violent. Alexandre répliqua avec brutalité et obtint satisfaction. La volonté du roi était la loi : la monarchie hellénistique venait de naître. Il fallait désormais aller plus loin dans le métissage des peuples.

L’empire macédonien d’Alexandre le Grand à son apogée (324-323 av. J.C)

Le grand projet d’Alexandre fut de créer une religion unique dont il aurait été le dieu. C’était rassembler les croyances occidentales et orientales, multiples et antagonistes. La logique grecque et la volonté d’échapper au pouvoir des dieux ne pouvait être associées à l’adulation du surnaturel et des divinités en orient. Alexandre obtint néanmoins d’être reconnu comme un dieu par tous les Grecs, comme il l’était déjà par tous les orientaux.

Lorsque sonne le glas, le chaos tempête

Mort d’Alexandre le Grand (nuit du 11 au 12 juin 323 av. J-C)

Si la fusion des croyances n’était pas encore réussie, le conquérant macédonien établissait déjà des plans pour faire le tour de l’Afrique par la mer et l’invasion de l’Europe. Il était toujours en quête de l’Océan Extérieur. Alexandre était heureux en 324. Ça ne dura pas. Héphestion, son meilleur ami, presque son âme sœur, décéda brutalement à la fin de l’année. Quelque chose venait de se briser en Alexandre : il perdit sa capacité de concentration. L’été 323 venu, alors qu’il semblait enfin surmonter la mort d’Héphestion et finissait d’organiser la circumnavigation autour de l’Afrique, il fut pris d’une forte fièvre (peut-être la Malaria) qui le terrassa dans la nuit du 11 au 12 juin 323, à 32 ans seulement.

Les Diadoques (vers 310 av. J.C)

Sa mort, inattendue et soudaine, provoqua une lutte de pouvoir entre ses différents généraux. Ceux-ci étaient trop ambitieux pour se rassembler autour du fils d’Alexandre le Grand, Alexandre IV Ægos, né un mois après le décès du conquérant. Alors, la lutte de pouvoir se déchaîna entre les Diadoques (« successeurs ») pendant un demi-siècle et toute la famille d’Alexandre le Grand fut progressivement exécutée de 323 à 310. Le sang d’Alexandre représentait un enjeu géopolitique trop important pour être laissé à l’un des généraux sans qu’un ou plusieurs autres ne cherchent à l’en priver. Ainsi s’ouvrait l’ère hellénistique, dominée par des monarchies.

Sources (texte) :

Weigall, Arthur (2019). Alexandre le Grand. Paris : Éditions Payot & Rivages, 512p.

Orrieux, Claude et Schmitt Pantel, Pauline (2020, 4e édition). Histoire grecque. Paris : PUF, 509p. (J’utilise les pages 315 à 358)

Benoist-Méchin, Jacques (2009). Alexandre le Grand. Millau : Tempus Perrin, 352p.

Green, Peter (2012). Les Guerres médiques. Paris : Tallandier, 448p.

Sources (images) :

https://www.historia.fr/carte-blanche-%C3%A0-franck-ferrand/lhistoire-bascule-%C3%A0-salamine (carte résumant les guerres médiques)

http://dba-v3.fr/wp-content/uploads/2015/11/6_Empire-perse.gif (empire perse achéménide et son évolution)

https://fr.wikipedia.org/wiki/Philippe_II_(roi_de_Mac%C3%A9doine) (Philippe II de Macédoine)

https://fr.wikipedia.org/wiki/Alexandre_le_Grand (domination de la Macédoine, parcours haché d’Alexandre jusqu’à Halicarnasse puis Issos, puis Babylone et de retour à Babylone, portrait d’Alexandre)

https://fr.wikipedia.org/wiki/Bataille_du_Granique#/media/Fichier:Jean_Audran_-_La_bataille_du_Granique.jpg (Représentation bataille du Granique)

https://fr.wikipedia.org/wiki/N%C5%93ud_gordien (représentation d’Alexandre tranchant le nœud Gordien)

https://fr.wikipedia.org/wiki/Bataille_d%27Issos (bataille d’Issos avec représentation)

https://www.pourlascience.fr/sd/archeologie/le-siege-de-tyr-limpossibilite-dune-ile-9735.php (île de Tyr)

https://fr.wikipedia.org/wiki/Bataille_de_Gaugam%C3%A8les (bataille de Gaugamèles, représentation et schéma tactique)

http://socialstudiesforkids.com/articles/worldhistory/alexanderthegreatsuccess7.htm (Alexandre découvre le corps de Darius III)

https://alchetron.com/Hecataeus-of-Miletus (océan extérieur)

http://antikforever.com/guerres_batailles/batailles/portes_persiques_hydaspe.htm (bataille de l’Hydaspe)

https://www.larousse.fr/encyclopedie/images/Lexp%C3%A9dition_dAlexandre/1009142 (Empire full avec détails)

http://epopeealexandre.canalblog.com/archives/2010/03/01/17191430.html (mort d’Alexandre)

https://fr.wikipedia.org/wiki/Diadoque (diadoques cartes)