JEUDI CINÉMA #32 : FURY

JEUDI CINEMA THE CONSERVATIVE ENTHUSIAST

Nous poursuivons avec cet article, notre liste de recommandations de films, qui nous l’espérons, saura vous plaire et vous faire découvrir ou revisiter les œuvres anthologiques du cinéma qui sont selon nous primordiales à connaître.

Cette liste de films concoctée par nos soins est nommée “JEUDI CINEMA“, elle est numérotée et vous pouvez la retrouver dès maintenant dans la rubrique Cinéma de notre site.

Cette semaine, on découvre l’excellent film : Fury

Cette semaine, nous plongeons dans un film de guerre et pas n’importe lequel, car nous avons choisi l’un des meilleurs du genre. Et d’ailleurs, ce choix judicieux est celui de Tom Ripley, l’un des membres de la communauté TCE qui s’essaye à son premier article avec brio.

Nous vous laissons donc découvrir sa plume et son analyse profonde de ce long métrage, mais avant, nous posons le casting à l’affiche du film réalisé par David Ayer.

Vous y retrouverez principalement les acteurs : Brad Pitt, Shia LaBoeuf, Logan Lerman, Michael Peña, Jon Bernthal, Jason Isaacs et Scott Eastwood.

Pourquoi il faut regarder ce film ?Par Tom Ripley

Dans la conscience collective des Français d’aujourd’hui, les films sur la Seconde Guerre mondiale se divisent globalement en deux académies : la Française et l’américaine.

Le parti-pris de la première est celui de la comédie, de l’auto dérision, du lâcher prise, voire d’une dédramatisation aux accents parfois nostalgiques. En outre-atlantique, la stratégie est tout autre. À la sympathie pour l’anti-héros franchouillard Bourvil, s’oppose le culte du héros John Wayne. La postérité doit se souvenir d’une Amérique surpuissante, sauveuse de l’Europe, qui a anéanti le régime le plus destructeur de l’histoire de l’humanité. Il est inutile de rappeler combien le rayonnement de la culture américaine à travers le monde et donc sa domination économique doit à ses œuvres cinématographiques, porte-étendards d’une société jeune et sans peur. C’est l’absurdité de la guerre du Vietnam, mise en scène notamment par Kubrick ou Copolla qui fera vaciller la légitimité du “va-t-en-guerre” américain. On ne souhaite plus seulement voir le sacrifice et le panache de nos compatriotes, mais aussi et surtout leurs défaillances physiques et psychologiques, les traumatismes plus que la gloire. En résumé, la propagande ne pèse plus grand-chose face à la “vraie” guerre dans toute son horreur ; témoignage de l’esprit humaniste et pacifiste de la nouvelle génération.

Le chef-d’œuvre de Steven Spielberg “Il faut sauver le Soldat Ryan” est l’apogée de ce cinéma d’action “total”. Tout doit être montré, sans mise en valeur d’un héros parfait, ou sensiblerie moralisatrice. Chaque personnage de la compagnie possède son caractère propre, ses failles et ses compétences auxquelles les spectateurs peuvent s’identifier. L’ensemble formant une famille soudée aussi bien dans la douleur que dans les rares moments de distraction et de réjouissance. Ainsi, l’immersion est d’autant plus facilitée.

Cette brève introduction sur ce film multi-oscarisé, va me permettre de dégager un point de convergence entre lui et le film dont j’ai consacré cet article : Fury de David Ayer.

Je ne me pencherai pas sur les aspects techniques ou sur une comparaison historique de l’œuvre, mais plutôt sur la psychologie des personnages principaux et ce que celle-ci nous enseigne.

Je conseille surtout à ceux qui ne l’ont pas vu d’y remédier avant de lire les prochaines lignes, car beaucoup de passages clés y sont dévoilés et loin de moi l’idée de “divulgâcher”.

L’épopée Fury, c’est l’histoire de six combattants américains engagés face à la débâcle Nazi de 1945 : Don “Wardaddy” Collier (Brad Pitt) le chef d’équipage, “La Bible” (Shia LaBoeuf) le tireur, “Gordo” (Michael Peña) le pilote, Grady (Jon Bernthal) le chargeur, Norman “Machine” (Logan Lerman) le mitrailleur et co-pilote et… Fury, le tank Sherman – en effet, la place de celui-ci ne se limite pas seulement à son utilité purement matérielle comme véhicule ou arme de guerre mais nous reviendrons sur sa symbolique plus tard –. Membres d’une compagnie blindée ayant pour objectif de percer la campagne allemande et rejoindre Berlin, nous les suivrons pendant une journée entière. Dans ce bourbier pathétique et au combien menaçant, leur destin va les mener à nettoyer des villages de toutes traces ennemies et tenir un carrefour stratégique au péril de leurs vies.

Devenir un homme

Dans beaucoup de films de guerre américains on trouve souvent quelques profils types : le chef charismatique au sang-froid, la tête brûlée légèrement égocentrique, le religieux qui prend toujours le temps de réciter un verset de la Bible etc. Mais le lien le plus évident entre le film de Spielberg et celui d’Ayer est la ressemblance (astucieuse) entre Upham et Norman. Deux jeunes gens totalement inexpérimentés, plutôt sensibles, envoyés au plus près du feu et sûrement par erreur, car à des postes pour lesquels ils n’ont eu aucune formation.

Destinés à taper à la machine jour après jour, à l’écart de la mort, ils vont finalement devoir endosser un rôle trop grand pour eux et apprendre sur le tas à devenir un tueur. Cette relation est aussi indissociable de celle qui réunit le capitaine Miller et le Sergent Don Collier. Tous deux sont entraînés à l’art martial. Ils savent faire des choix difficiles et en prendre l’entière responsabilité. De ce fait, nous sommes en présence d’une double relation père-fils, improvisée par et dans un contexte exceptionnel. Le but étant de devenir un homme pour avoir sa place dans la compagnie ou l’équipage. Sur le front, l’éducation se fait de manière sensiblement traditionnelle.

C’est un chemin de transition où le jeune doit subir des rituels violents physiquement comme psychologiquement. Dès son intégration, Norman est tout de suite mis à rude épreuve : nettoyer le poste de mitrailleur et sur lequel est mort celui qu’il doit remplacer. Peu importe qu’il faille retirer une partie du visage de celui-ci, resté collé sur la coque. En plus des railleries de ses coéquipiers (symbolique des grands frères), habitués quant à eux, à ce métier si particulier et mortel qu’est tankiste, Norman tente de résister aux tests initiatiques particulièrement radicaux d’un Wardaddy fatigué et dégoûté de devoir embarquer dans son cercueil à chenilles, un soldat aussi fragile. Parmi les grandes épreuves de Norman, il y a aussi son histoire avec Emma, lors d’une halte improvisée dans un village. Si le premier combat est, dans beaucoup de sociétés, évoluées ou primitives, le point de passage principal entre l’âge adolescent et l’âge adulte, le second, parfois aussi important, est la première relation sexuelle. Ici, les deux jeunes gens se rencontrent dans le chaos de la guerre.

La beauté immaculée est charmée par ce soldat à la peau encrassée, mais au cœur encore pur. Le père Wardaddy fait alors preuve d’une grande intelligence sociale. Remarquant la tension qui se créée entre eux, il les incite (sans mal) à rejoindre la chambre et profiter de cette opportunité inespérée. Pour la première fois, un rayon de soleil perce le ciel funeste.

Devenir un héros

Quand l’heure du départ survient, leur séparation n’est pas pour autant sans espoir de retrouvailles. “Tu ne connaîtras qu’un seul véritable amour” disait justement Norman à la jeune Allemande en lisant sur les lignes de sa main. Mais du doux rêve de deux amoureux, la guerre ne s’embarrasse pas. Sur le point d’embarquer, Norman et ses compatriotes subissent un bref bombardement qui, à défaut d’avoir touché les bonnes cibles, emporte dans ses ruines les espérances et l’innocence du jeune homme. Emma n’est plus, et c’est alors au plus imperturbable des grands frères, Grady, de jouer son rôle. “Ça s’appelle la guerre” lui répète-t-il tout en contenant la colère de l’endeuillé. Si c’est ça la guerre, autant la regarder froidement, les émotions n’y ont pas sa place. Le Norman moraliste et sensible, résolu au début, à ne jamais tuer personne, est devenu froid, presque indifférent à toute tâche. Les prochains défis seront peut-être bien pires, mais qu’importe. Appelé dorénavant “Machine” par ses frères de guerre, il embrasse non sans plaisir son côté obscur jungien et découvre que son nouveau travail ne serait finalement pas si désagréable. “Jamais eu meilleur boulot” se disent-ils après avoir frôlé la mort plusieurs fois en quelques kilomètres seulement.

Quand l’ultime défi de leur épopée se présente à eux, il n’est pas difficile d’imaginer quelles en seront les conséquences. Un régiment entier de SS se dirige au pas de guerre vers le carrefour qu’ils doivent tenir. Eux ne sont que cinq dans un Sherman, qui plus est, avec une chenille détruite par une mine. Du suicide. Mais fuir devant une mort certaine, n’est-ce pas être lâche, abandonner son poste, n’est-ce pas trahir la confiance d’une armée et d’un pays entier ? Alors, quand Don annonce à ses camarades qu’il gardera sa position, même seul, c’est la douche froide. Face au dilemme, le premier à répondre n’est autre que son jeune mitrailleur. Il se battra à ses côtés.

Si de prime abord on pourrait s’étonner de ce choix, lui qui est le plus jeune, qui a peut-être le plus de raison de croire en l’avenir, nous ne devons pas omettre le premier trait de caractère que l’on découvre chez Norman dès le début du film : sa loyauté. Loyal dans un premier temps envers ses principes. Ne suppliait-il pas Wardaddy qu’il le tue pour ne pas être obligé d’abattre un prisonnier allemand ? Mais sur ce carrefour, “Machine” n’est plus un néophyte. D’une certaine manière, une partie de son âme (symboliquement, son enfance) est restée sous le tas de ruines en compagnie d’Emma. Ce qui le fait avancer et le pousse au combat, c’est sa loyauté envers celui qui lui a permis de survivre à de nombreuses reprises, de devenir plus fort mentalement et de connaître l’amour. En résumé, il lui est impossible d’abandonner son père de substitution. Pour Grady, “La Bible” et “Gordo”, les mois passés avec un des meilleurs chef de char de l’armée américaine et donc la confiance inébranlable qu’ils ont envers lui, détermineront leur choix. Ils seront bien cinq.

Cinq, peut-être pas seulement. En effet, si Wardaddy a endossé avec brio la responsabilité paternelle et le reste de l’équipage, celui de frères, c’est bel et bien le Sherman qui devient au fil des combats la mère protectrice de la famille. Au milieu du bocage français, du désert africain ou ici sur la route de Berlin, les quelques millimètres de coque du renommé char américain ont été le seul mur qui protégea (relativement) les soldats du chaos. Entassés nuit et jour dans quelques mètres cube, vivant dans la rusticité permanente et le bruit du moteur en fond, le tank n’en est pas moins un vrai foyer. Inconsciemment, il incarne le refuge du soldat de façon comparable à enfant qui, face aux premières difficultés de l’existence, va rechercher les bras consolateurs de sa mère. Alors, lorsque celle-ci est en danger, une vraie famille doit pouvoir se sacrifier pour protéger celle qui les a défendus pendant de si longs mois, madame Fury. N’est-ce pas finalement cela devenir un héros ?

Quelles leçons Fury nous apprend-t-il ?

Nous avons donc vu sous l’angle de la relation particulière entre Norman et Wardaddy, la reproduction d’une structure familiale au sein d’une unité de guerre et spécifiquement d’un équipage de char. Si l’œuvre de David Ayer met le spectateur dans une position immersive, où les ellipses temporelles sont peu nombreuses et très courtes (déplacements d’un point A à un point B uniquement), la spécificité de Fury est bel et bien son orientation spirituelle se focalisant sur la naissance, la maturité et la gloire du soldat Norman. Une sorte de vie dans une autre, où chaque personnage possède une responsabilité de guide, le but étant l’affirmation de l’homme puis du héros.

Les douleurs et désillusions vécues tout au long de l’aventure s’insèrent dans un processus menant à ce que Nassim Nicholas Taleb appelle l'”antifragilité”. Contrairement à ce que l’on est habitué à voir dans beaucoup de fictions de guerre, le baptême du feu n’a pas été que destructeur pour Norman. Il ne serait sûrement pas devenu aussi fort ou perçu comme plus honorable si son devoir aurait été comme prévu, de taper soixante mots à la minute sur une machine à écrire, en retrait du front.

Si l’on y applique une vision froide, sa destinée était de subir, encore et encore, au point de se croire dans un cauchemar ininterrompu, et ce dans le simple but de se révéler. On le voit lors de l’ultime combat, il n’a aucune hésitation, il n’a rien à craindre. Son mental a été suffisamment mis à l’épreuve que plus rien ne pourrait l’affaiblir, bien au contraire. Chaque balle évitée, chaque ennemi mis au sol le renforce, tout comme la perte de ses compagnons les uns après les autres. Une éducation “antifragile” n’a pas pour but de nous rendre tout simplement plus résistent et robuste, jusqu’à que plus rien ne nous touche ; mais plus encore, son pouvoir est de pousser l’organisme jusqu’à ses limites en l’habituant, dans le cas de Norman, à du stress psychologique répété suffisamment efficace. De la même manière, des chocs trop traumatisants ne feraient que le rendre fou ou complètement suicidaire. Et tout cela, Wardaddy l’a bien compris. Il a voulu par ses ordres, faire émerger les forces insoupçonnées de son mitrailleur. Car dans un contexte où la mort est partout, il est primordial d’endurcir rapidement un jeune soldat.

Une simple petite erreur ou légère hésitation peut se payer par la pire des sanctions et malheureusement, il n’y a pas d’autres choix que d’apprendre à tuer. Par ailleurs, c’est aussi uniquement dans cet environnement, que des personnalités opposées peuvent arriver à s’entendre. Grady et Norman ne se seraient sûrement jamais rencontrés et encore moins apprécié dans une vie “normale”. Ici, Fury met l’accent sur l’esprit de solidarité et de sacrifice qui va souder ces hommes et qui seuls sont légion. L’ego comme les autres passions, n’y ont pas leur place.

Comme énoncé dans l’introduction, j’aurais pu disserter sur beaucoup d’autres éléments rendant ce film si attachant, comme par exemple la somptueuse bande originale de Steven Price ou les performances d’acteurs que des conditions de tournage compliquées ont sans aucun doute réaffirmer. Je vous laisse alors voir ou revoir Fury et écrire en commentaire ce qui vous a touché ou non.

Je finirai par une citation de Don “Wardaddy” Collier, qui mériterait d’être gardée dans un coin de notre tête et rappelée à certains :

“Les idéaux sont pacifiques, l’histoire est violente”.

Don Wardaddy Collier

On vous recommande donc fortement de visionner ce film lourd de sens et de visionner la bande-annonce juste en dessous.

Surtout n’hésitez pas, une fois le film visionné, à nous donner vos retours  en commentaires en bas de cet article ou sur nos réseaux sociaux.