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Le chaos intérieur de la Révolution française

Résumons succinctement la Révolution française. Les guerres avaient ruiné la couronne française (guerre de Sept Ans 1756-1763 et guerre d’indépendance américaine 1775-1783), les finances étaient mal gérées, Louis XVI avait permis le retour des Parlements farouchement opposés à sa politique et un scandale éclata. Le manque de fermeté du roi, couplé aux idées révolutionnaires venant d’Amérique et de la littérature allemande, la volonté des parlementaires de garder leurs privilèges et le refus du clergé de prêter des fonds à la couronne imposèrent l’organisation des Etats généraux en 1789. La situation devint alors chaotique à Paris, le roi refusa de se défendre, un déchainement de violence déferla sur les Tuileries, l’hôtel de police, puis la Bastille (pour les lieux les plus connus) en juillet.

Prise de la Bastille le 14 juillet 1789

L’inflation s’envola pour ne plus retomber avec les assignats, les biens du Clergé furent saisis, le roi fut déchu après la fuite de Varennes (1791), la République proclamée (septembre 1792) et la monarchie abolie. Dans l’Assemblée nationale, les Jacobins et les Girondins s’affrontèrent. Les premiers, plus radicaux, initièrent le procès du roi pour déstabiliser les Girondins. Louis XVI fut ainsi guillotiné le 21 janvier 1793. Marie-Antoinette, la reine, connut le même sort le 16 octobre. Si l’intérieur bouillonnait, l’extérieur menaçait. L’Autriche habsbourgeoise fut l’ennemi héréditaire de la France de Richelieu à la révolution diplomatique de 1756. Faisant fi du dernier demi-siècle d’alliance qui avait permis la stabilité en Europe, les révolutionnaires provoquèrent Vienne. Si Léopold II d’Autriche était bien trop intelligent pour répondre aux provocations, sa mort en 1792 changea la donne.

Guillotine Louis XVI
Exécution de Louis XVI à la guillotine le 21 janvier 1793

Aux luttes intérieures et extérieures, la Convention montagnarde oppose la Terreur

François Ier d’Autriche lui succéda et, belliqueux, accepta une guerre contre la France. A l’extérieur, la guerre de la Première Coalition (1792-1797), regroupant Autriche, Prusse, Grande-Bretagne, Espagne, Portugal, Sardaigne, Toscane, Naples, Russie, Provinces-Unies et des états allemands débuta ainsi. Tous faisaient la guerre à la France, royaume le plus peuplé d’Europe. Il fallait contenir la révolution … Et une France qui revendiquait ses frontières naturelles, c’est-à-dire allant jusqu’au Rhin, englobant de fait la Belgique et les Pays-Bas actuels (Pays-Bas autrichiens et Provinces-Unies à l’époque). Pour ne rien arranger, à l’intérieur de la France, un soulèvement dit Fédéraliste (en partie royaliste) créa des poches de résistance. C’est que, la Convention montagnarde, anticléricale, dénigrait la province, avait écarté les Girondins et exécuté le roi. La Vendée (royaliste, religieuse, contre l’enrôlement de masse de la Convention), Lyon, Marseille et Toulon, en particulier, se soulevèrent. La France plongeait dans la Terreur en 1793.

Première Coalition antifrançaise (1792-1797)

A l’extérieur, la Première Coalition fut contenue partout, notamment sur le front principal qu’était le Rhin (quelques batailles décisives : Valmy, Wattignies, Wissenbourg) ; à l’intérieur, la révolte fédéraliste fut écrasée par une affreuse répression. Lyon et Toulon furent assiégées puis à moitié rasées et les condamnations à mort furent nombreuses. L’armée de la Convention ne se priva pas d’atrocités pendant la guerre de Vendée, si bien que certains parlent d’un génocide, bien que son aspect soit plutôt celui d’un massacre si l’on s’attache à la définition. La Terreur ne s’arrêta pas pour autant. La Convention montagnarde versa dans la dictature et étendit son contrôle : réquisition des denrées, contrôle du commerce, maximum (prix maximum pour une denrée malgré l’inflation), traque des opposants et un anticléricalisme plus strict encore.

Résumé des menaces intérieures et extérieures en 1793

Bonaparte sauve la Convention thermidorienne et le Directoire

Maximilien de Robespierre (1758-1794)

Robespierre, l’Incorruptible, l’Etre Suprême de la religion de la Convention, n’était pas le seul à donner la direction et les actions locales les plus atroces étaient bien souvent spontanées. Le rôle véritable de Robespierre dans la Terreur est sujet à débats. Quoi qu’il en soit, en 1794, il commit l’erreur d’accuser sans nommer. Trop de députés étaient visés, tous avaient peur de lui. Ils chassèrent alors Robespierre du pouvoir et le firent guillotiner le 10 Thermidor an II (28 juillet 1794). A la Terreur, tyrannie jacobine, se substitua la Convention thermidorienne. En 1794 et 1795, la France parvint non seulement à contenir la Première Coalition mais également à avancer contre elle, prenant toute la rive gauche du Rhin, annexant la Belgique et fondant la République batave, cadette de la française. La Convention thermidorienne, instable et financièrement condamnée par une inflation délirante, fut sauvée d’une révolte par un certain général Bonaparte en octobre 1795. Ce dernier s’était déjà illustré durant le siège de Toulon en 1793.

Le général Napoléon Bonaparte (1769-1821)

Le régime changea de forme, ne gardant que ce qui formait l’exécutif : le Directoire. L’inflation grimpa encore plus rapidement. A l’extérieur, le Directoire gagnait sur tous les fronts, sauf sur les mers. Le front du Rhin étant momentanément bloqué, le général Bonaparte se vit confier l’armée française d’Italie, dans un état misérable, en 1796. Bonaparte mena sa campagne d’Italie en 1796-1797, une prouesse de stratégie et de rapidité contre l’ennemi principal de la France : l’Autriche. Il défit ainsi cinq armées avec sa seule armée d’Italie, en une année (quelques batailles : Montenotte, Millesimo, Dego, Castiglione, Arcole, Rivoli). En 1797, le général Bonaparte mit fin à la guerre de Première Coalition et négocia, seul, les conditions de la paix. Le Directoire ne pouvait se passer de son général le plus efficace et n’avait plus son mot à dire.

Première campagne d’Italie 1796-1797

La Deuxième Coalition et le 18 Brumaire, la Révolution se clôture par la guerre

Bataille des Pyramides (21 juillet 1798)

Après la paix de Campoformio (1797), le Directoire ambitionna d’envahir la Grande-Bretagne par une opération amphibie en 1798. Il fut demandé au général Bonaparte de s’en occuper. Celui-ci persuada le Directoire de l’échec probable de l’opération et proposa à la place une expédition en Egypte pour couper la liaison commerciale la plus courte entre la Grande-Bretagne et son empire colonial. L’expédition d’Egypte, militaire et scientifique, fut alors entreprise. L’armée du général Bonaparte débarqua en Egypte, territoire de l’Empire ottoman, jusque-là neutre et allié historique de la France. Cette agression injustifiée provoqua la guerre de Deuxième Coalition (1798-1802). Bonaparte vit sa flotte se faire étriller par les Britanniques à Aboukir (1798) mais écrasa les forces ottomanes et s’empara de l’Egypte puis poussa au Proche-Orient avant de revenir sur ses pas (quelques éléments importants : la bataille des Pyramides, la prise du Caire, le siège de Saint-Jean-D’acre et la bataille terrestre d’Aboukir).

En Europe, le Directoire était dans une situation délicate : les fronts italien et allemand reculaient, seul le front en Suisse tenait grâce au brillant général Masséna qui maintenait la cohérence du front (quelques batailles : Magnano, Novi, Trebbia, deuxième bataille de Zurich). Bonaparte, revint au plus vite en France, en octobre 1799, laissant la gestion de l’Egypte au talentueux général Kléber. Le Directoire, critiqué pour sa situation financière et militaire ainsi que pour son expédition d’Egypte, vacillait. On proposa alors au général Bonaparte, auréolé de ses victoires, de faire un coup d’Etat. Il s’exécuta le 18 Brumaire an VIII (9 novembre 1799), dans le désordre. Le Consulat était né : le général Bonaparte était l’un des trois consuls. La Révolution française s’achevait.

Coup d’Etat du 18 Brumaire an VIII

Mais la guerre de Deuxième Coalition était, elle, toujours d’actualité. Le Premier consul et général Bonaparte mena son armée en Italie et y vainquit les Autrichiens à Marengo (1800). Une autre victoire française, celle-ci en terres allemandes, à Hohenlinden, fit flancher l’Autriche qui signa la paix de Lunéville en 1801. En Egypte, Kléber fut assassiné en 1800 après de nouveaux succès militaires, puis une armée Britannique débarqua et triompha péniblement des Français. La paix d’Amiens de 1802, entre la France et le Royaume-Uni*, s’accompagna d’une évacuation française de l’Egypte. Le Royaume-Uni ne respecta pas la paix.

*La Grande-Bretagne devient, en 1801, le Royaume-Uni par l’Acte d’Union.

Bonaparte fut Consul puis Consul à vie après la Révolution française (1789-1799). Il stabilisa la France, signa le Concordat avec le pape Pie VII en 1801, ordonna le maintien puis le rétablissement de l’esclavage (par pragmatisme économique) et promulgua le code civil en 1804. Le général Bonaparte savait qu’un autre général pouvait, comme lui l’avait fait le 18 Brumaire an VIII, renverser le régime. C’est pourquoi, il fut fait empereur des Français par un plébiscite en 1804.

Napoléon Ier, empereur des Français : le bouleversement politique

Sacre de Napoléon Ier (2 décembre 1804)

C’était une manière d’assurer son pouvoir sans revenir à la royauté. Napoléon acceptait par-là les acquis de la Révolution. En l’absence de sang royal, un lien avec Charlemagne fut trouvé. Napoléon contrôlait l’occident, avait l’aigle pour emblème, comme Charlemagne, dernier empereur ayant régné, en somme, sur les terres françaises. Revendiquer son héritage permettait de légitimer son règne sur la France, le nord de l’Espagne, le nord de l’Italie, la Belgique, la Hollande et l’Allemagne. Napoléon n’était pas roi, Louis XVI devant être le dernier, mais se liait à la lignée royale carolingienne par Charlemagne. Napoléon n’arracha pas la couronne des mains du Pape lors du sacre : il avait été convenu qu’il se couronnerait lui-même car les Français étaient, pour partie, anticléricaux. Tout ceci était un compromis pour inviter le Pape sans froisser les Français anticléricaux. Charlemagne était venu au Pape pour son couronnement, à Rome, le 25 décembre 800 ; le Pape venait à Napoléon le 2 décembre 1804. La ferveur populaire manqua.

Malgré la paix d’Amiens, le Royaume-Uni attaquait depuis 1803 les colonies françaises. Le belliqueux William Pitt le Jeune revenait à la tête du gouvernement britannique le 10 mai 1804 et recevait des crédits de guerre. Londres consentait à accorder des subsides à Saint-Pétersbourg en cas de guerre. Or, Alexandre Ier, tsar russe depuis peu, était disposé à engager les hostilités. Les ambitions russes à l’ouest rencontraient désormais les intérêts français et le rapprochement de la France avec les Ottomans, ennemis séculaires de la Russie tsariste, consuma les hésitations. Napoléon Ier lança alors des préparatifs d’invasion du Royaume-Uni. Mais, plus grave, l’Empereur fâcha l’Autriche.

La France, germanique car implantée sur la rive gauche du Rhin depuis peu, menait une conquête politique en Allemagne ; sapant l’autorité de François II du Saint Empire romain*. Les princes allemands gagnaient en puissance et en indépendance. La Bavière de Maximilien-Joseph, grand allié traditionnel de l’Autriche, venait de basculer côté français. Maximilien-Joseph jouait ainsi un jeu dangereux : garder son indépendance, menacé d’invasion autrichienne et d’incorporation française. D’autres l’imitèrent. Napoléon menaçait également le commerce britannique par l’occupation de la Belgique, de la Hollande et de Hambourg au mécontentement des Prussiens et des Britanniques.

*Qui est également, je le rappelle, François Ier d’Autriche. Deux titres, un homme.

Déjà Président d’Italie, Napoléon craignait de créer un casus belli pour l’Autriche en se déclarant roi d’Italie. Sur conseil de Talleyrand, il proposa la couronne à Joseph, puis Louis, deux de ses frères. C’était renoncer à l’hérédité sur la couronne impériale : les deux Bonaparte refusèrent. Eugène de Beauharnais, fils de l’impératrice Joséphine adopté par l’empereur, accepta d’être vice-roi d’Italie tandis que Napoléon devenait roi d’Italie (couronné le 26 mai 1805). L’Empereur comptait apaiser l’Autriche en assurant qu’Eugène possédait la réalité du pouvoir. Sans surprise, l’Autriche, furieuse, désapprouva ces annexions. La Troisième coalition antifrançaise, rassemblant l’Autriche, le Royaume-Uni et la Russie, venait de naître. La Suède se joignit aux Coalisés de peur que la Russie n’attaque ses terres finlandaises sur lesquelles elle lorgnait depuis longtemps. Gustave IV était, de toute manière, belliqueux et financé par Londres. Ferdinand IV de Naples ne se fit pas prier.

En face, la république batave, le prince de Bavière et l’Espagne rejoignaient Napoléon. Pareille à l’Espagne, la France traversait une grave crise financière. L’Etat, faute de fonds, avait massivement emprunté à nouveau. Mais déjà, 200 000 Russes, 250 000 Autrichiens, 50 000 Britanniques, Suédois et Napolitains marchaient contre le Premier Empire. La Troisième Coalition alignait 500 000 hommes et pouvait espérer l’intervention Prussienne, jetant 200 000 hommes supplémentaires dans la fournaise ! La France, face à une telle armée, disposait de 300 000 hommes dont 40 000 étaient fournis par les républiques sœurs. Napoléon laissa derrière lui un Empire plongeant dans les affres de la crise économique.

La Troisième Coalition : une démonstration militaire française

L’Empereur abandonna ses velléités d’invasion du Royaume-Uni et marcha avec une vitesse fulgurante jusqu’en Bavière, son alliée, en 1805. La Grande Armée put y surprendre l’Autriche qui pensait avoir le temps d’envahir la Bavière pour sécuriser Ulm et y attendre les renforts russes. Napoléon élimina une première armée autrichienne par la manœuvre d’Ulm, tandis que le maréchal Masséna progressait simultanément en Italie.

La Troisième Coalition antifrançaise

En parallèle de cette progression, la flotte impériale, menée par l’amiral de Villeneuve, fut vaincue au large de l’Espagne par l’amiral Nelson à Trafalgar le 21 octobre 1805. L’importance stratégique immédiate de cette défaite française est nulle car Napoléon avait renoncé à son invasion du Royaume-Uni. Sur le long terme, en revanche, la flotte française en serait réduite à la guerre de course avec pour unique objectif de demeurer une menace. L’Empereur s’empara de Vienne puis affronta les Coalisés austro-russes, dirigés par le russe Koutouzov mais surtout les souverains eux-mêmes (Alexandre Ier, tsar de l’Empire russe et François Ier d’Autriche), à Austerlitz. Napoléon y écrasa ses adversaires par la ruse et la stratégie le 2 décembre 1805. Il avait rapidement provoqué le combat pour éviter l’entrée en guerre de la Prusse dont l’ultimatum arrivait bientôt à échéance.

Le 26 décembre, le traité de Presbourg (Bratislava) fut signé avec Talleyrand (ministre français des Relations extérieures). Ce dernier voulait épargner l’Autriche, Napoléon voulait la punir. L’Autriche céda partout, reculant largement en Italie et en Allemagne, reconnaissant tout ce Napoléon avait créé. Plus concrètement, l’Autriche perdait là 65 000 km² de territoire et 3 millions d’habitants tout en se voyant infliger une indemnité de guerre de 40 millions de francs. Le Royaume de Sicile, qui faisait partie de la Troisième Coalition, fut écrasé immédiatement après, permettant à Joseph Bonaparte, frère de l’Empereur, de monter sur le trône napolitain. La Troisième Coalition n’était plus.

La paix ne triomphera pas

Victorieux, Napoléon s’occupa enfin du pape Pie VII, avec qui il avait maille à partir. L’Empereur ayant occupé en partie l’Italie, remanié le religieux en contraignant les pouvoirs papaux et ne faisant rien contre l’anticléricalisme germanique grimpant, le Pape refusa de reconnaitre Joseph à Naples et les investitures dans l’Empire. Le bras de fer ne faisait que débuter. Napoléon rentra en France, redressa pour partie la situation économique et réforma la Banque de France, fondée en 1800. Cette même année 1806 vit Napoléon manquer une occasion unique de faire la paix avec Londres : Pitt le Jeune venait de succomber le 23 janvier à une maladie. A sa suite venait Fox, éminemment pro-français ! Fox acceptait tout, reconnaissait tout. Il n’avait qu’une seule exigence : laisser Ferdinand IV au moins maître de la Sicile, à défaut de Naples. Napoléon, qui négociait également avec les Russes, trouva cet accord insuffisant.

Fox ne se découragea pas pour autant. Il concéda l’abandon de Ferdinand IV et accepta le principe de l’uti posseditis juris contre la cession par les Français du Hanovre. Concrètement, cela signifiait que les Britanniques gardaient toutes les conquêtes faites dans les colonies tout comme la France gardait toutes les conquêtes d’Europe (bien plus importantes) et que les Britanniques récupéraient le Hanovre, terre d’origine de la dynastie au pouvoir à Londres. Fox et Talleyrand se démenaient ! Cet accord était franchement excellent pour Napoléon. Il le refusa. Il ne voulait pas faire une croix sur les quelques colonies perdues. En réalité, il attendait toujours les Russes qui, à dessein, tergiversaient. La Prusse, voyant ces discussions sur la cession du Hanovre alors qu’elle en était officiellement maîtresse depuis peu, ne pouvait que désapprouver ces démarches. Finalement, les Russes refusèrent tout traité et les Britanniques, fatigués, se retirèrent également. Fox trouva la mort le 14 septembre 1806. Napoléon avait manqué une superbe occasion.

La Prusse, qui n’avait pas rejoint la Troisième Coalition, subissait le courroux de Talleyrand qui, en janvier 1806, obligea Frédéric-Guillaume III à déclarer la guerre au Royaume-Uni jusqu’à la paix générale. Les ports furent fermés au commerce britannique, du moins en théorie. Aucun acte de guerre n’advint. En juin, la Prusse assurait à la Russie que les traités avec la France n’avaient aucune valeur. La comédie était évidente, comme le sentiment antifrançais à Berlin. L’Empereur avait laissé sa Grande Armée en terres allemandes pour alléger le trésor et surveiller la Prusse. Heureuse décision, car les choses bougeaient en territoire germanique. Le traité de Presbourg eut de lourdes conséquences à long terme : le Saint Empire Romain germanique, créé en 962, entité chapeautée par l’Autriche et rassemblant les états allemands, disparut en 1806. La Confédération du Rhin, chapeautée par la France, prit sa place. S’en était trop, la Prusse mobilisa.

La Quatrième Coalition : la Prusse châtiée

Une armée allemande envahit la Saxe en septembre 1806. Ainsi se formait la Quatrième Coalition (1806-1807) avec le Royaume-Uni et la Russie majoritairement. Les Prussiens, surestimant leur puissance, firent la même erreur que les Autrichiens : ils n’attendirent pas les Russes. Napoléon, qui avait laissé sa Grande Armée en terres allemandes, se porta très rapidement sur le front et écrasa l’armée prussienne par deux batailles simultanées le 14 octobre : la première, menée par l’Empereur à Iéna ; la seconde, menée par son maréchal le plus capable, Davout, à Auerstedt, bien qu’en large infériorité numérique. La cavalerie de la Grande Armée exploita la victoire avec brio et Berlin tomba en novembre 1806. En moins de deux mois, les soldats prussiens hors de combat se portaient à 145 000 ! Frédéric-Guillaume III demanda l’arrêt des hostilités.

Guerre de la Quatrième Coalition (1806-1807)

Napoléon posa des conditions proprement impossibles à satisfaire, ne serait-ce que par sa demande que la guerre soit déclarée contre le Royaume-Uni par la Prusse et la Russie. Le tsar n’ayant pas encore combattu, aucun accord ne pouvait être trouvé. Frédéric-Guillaume consentit à la reprise des combats … Presque sans aucune troupe. Napoléon, saisissant les produits britanniques en Prusse, décida par le décret de Berlin le 21 novembre, d’installer un Blocus continental : une guerre économique massive et « universelle » contre le Royaume-Uni. L’Europe représentait 40% du commerce britannique. Les Prussiens presque annihilés, il fallait encore écraser la Russie. Napoléon entra en Pologne et y affronta les armées du tsar, renforcées par quelques Prussiens. Après un dur combat de cavalerie le 7 février, remporté par les Français, s’engagea la terrible bataille d’Eylau le 8 février 1807.

Celle-ci se clôtura par la difficile victoire de la Grande Armée qui déplorait 5 000 tués et autant de blessés. Les Russes ne faisaient pas mieux : 7 000 tués et 20 000 blessés dont 5 000 restèrent sur le champ de bataille et 15 000 allèrent presque tous mourir à Königsberg. Avec Eylau, la réputation d’invincibilité de la Grande Armée vacillait. Talleyrand permit alors une trêve nécessaire aux deux belligérants.  Ce ne fut qu’une pause. Les hostilités reprirent et trouvèrent une issue favorable à la France avec la difficile bataille de Friedland en juin 1807. S’en suivit le traité de Tilsit.

Le traité de Tilsit : humiliation pour la Russie

Napoléon Ier et Alexandre Ier se retrouvent à Tilsit (juin-juillet 1807)

Ce traité franco-russe fut signé le 7 juillet 1807. La Russie reconnaissait l’Empire français, les états allemands, italiens, batave et napolitain. Le duché de Varsovie fut créé au détriment de la Prusse. La Russie lâchait ses alliés : Ferdinand IV de Naples comme Frédéric-Guillaume III de Prusse. En Allemagne, la Russie reconnaissait notamment un nouvel état : la Westphalie, que dirigeait le roi Jérôme Bonaparte, frère de Napoléon. En cela, Alexandre Ier renonçait à la politique occidentale initiée par Pierre le Grand en 1697-1698 et aux vues russes de sa grand-mère Catherine II, dite Catherine la Grande (1762-1796), sur l’Europe et l’Allemagne. Plus grave pour Alexandre : la création du duché de Varsovie, une Pologne qui taisait son nom. Cet état, dernier obstacle à la politique occidentale russe après le déclin suédois, avait enfin été absorbé par la Prusse, l’Autriche et la Russie lors des trois partages successifs de 1772, 1792 et 1795. Il renaissait.

Troisième grande concession : la Russie devait rendre la Moldavie et la Valachie aux Ottomans, conquises un an plus tôt, et devait de plus trouver une paix définitive avec cet ennemi séculaire. Alexandre renonçait ici aux prétentions tsaristes sur le sud-est de l’Europe leur permettant d’accéder aux eaux chaudes de la Méditerranée. Projet auquel s’opposaient avec autant de vigueur le Royaume-Uni et la France, alliés objectifs sur cette affaire. Désormais, la Russie était vue comme le médiateur entre la France et le Royaume-Uni, mais devait déclarer la guerre à ce dernier si aucun accord n’était trouvé avant novembre 1807. La Russie devait également appliquer le Blocus continental. L’économie russe, largement tournée vers le Royaume-Uni, souffrira bien plus que Londres de ce blocus. Les marchandises françaises ne pouvaient empêcher l’inflation de grimper et l’économie de vaciller. Il était déjà clair que, pour Alexandre Ier, cet humiliant traité annonçait une revanche. Loin d’un partage de l’Europe entre deux empereurs ; à Tilsit, un vainqueur dictait au vaincu.

La Prusse, elle, fut contrainte de signer ce traité absolument humiliant le 9 juillet 1807. Frédéric-Guillaume n’avait rien pu négocier. Napoléon avait refusé de l’écouter. Lâché par Alexandre Ier, il subissait l’accord de Tilsit. La Prusse perdait 1/3 de son territoire, grignoté à l’ouest par la nouvelle Westphalie et à l’est par le nouveau duché de Varsovie. Elle devait déclarer la guerre au Royaume-Uni avant le 1er décembre et instaurer le Blocus continental à son encontre. Elle reconnaissait elle aussi les frères Bonaparte : Joseph à Naples, Louis en Hollande et Jérôme en Westphalie. Finalement, elle devait payer une immense indemnité de 140 millions de francs à la France et acceptait de voir Berlin occupée jusqu’à ce que cette dette soit réglée. La capitale prussienne ne fut libérée des soldats français qu’en 1810 ! La Quatrième Coalition n’était plus.

La Suède fut vaincue en marge des Russes par les maréchaux Bernadotte et Mortier. Un excès de zèle de Gustave IV Adolphe lui coûta la Poméranie. La partie finlandaise du royaume de Suède fut envahie puis, en 1809, annexée par la Russie. Le Danemark, malmené par la Royaume-Uni en 1801 puis 1807, se rapprocha de la France. Le Blocus continental, pour fonctionner, devait être imposé à toutes les puissances européennes. Toutes obtempérèrent, sauf le Portugal, allié de longue date de Londres. Napoléon avait par ailleurs découvert que son « allié » espagnol avait proposé à Londres comme Berlin d’attaquer la France sur ses arrières. Au demeurant, l’alliance française n’avait apporté que des défaites maritimes et des difficultés économiques à l’Espagne. Qu’importe, la péninsule ibérique semblait bien contrariante pour Napoléon.

Le système napoléonien : le Blocus continental et le brasier ibérique

Malgré les fissures dans le système européen napoléonien qui, on le sait, provoqueront l’effondrement en devenant de béantes brèches, Napoléon touchait bientôt à l’apogée de sa puissance. En 1807, rien ne semblait lui résister et l’Europe semblait stabilisée. Cambacérès, archichancelier, avait tenu l’Empire ; mais Napoléon, même absent, avait pris toutes les décisions importantes. Quelques ministres furent remplacés le 9 août 1807 dont, étonnamment, Talleyrand. Cette destitution, détournée en promotion, était un camouflet. Napoléon réforma le pouvoir législatif pour lui ôter sa force en supprimant l’une des deux chambres, le régime devenait monocaméral. Les décrets et les sénatus-consulte (acte voté par le Sénat ayant valeur de loi) en contournaient les dernières résistances. La censure se fit plus sévère dans l’empire.

Economiquement, familialement, politiquement, socialement, l’Espagne menaçait d’exploser. L’ambassadeur français y poussait d’ailleurs le prince Ferdinand à renverser son père le roi Charles IV. Alors qu’il attaquait le Portugal en s’établissant fortement dans le nord de l’Espagne en octobre 1807, Napoléon profita d’une querelle de famille pour faire abdiquer le roi et le fils qui lorgnait sur le trône. Napoléon refusa la couronne à son beau-frère le maréchal Murat qui la voulait tant, lui préférant Joseph Bonaparte, tandis que Murat devenait roi de Naples à la place de Joseph. Ce faisant, il donnait l’occasion aux Britanniques, souffrant du blocus, d’attaquer les colonies espagnoles. Attaquer et piller les colonies donna de l’air à l’économie britannique. Napoléon créa une nouvelle Constitution espagnole transposant les principes français, adaptés, en Espagne. Le 8 juillet 1808, Joseph devint roi des Espagnes et des Indes.

La campagne contre le Portugal n’écrasa pas totalement la résistance du pays, aidé des Britanniques. Bien vite, l’Espagne se révolta contre le pouvoir de Joseph Bonaparte. Aux juntes espagnoles, populations armées, se joignit l’armée régulière contre « l’Antéchrist Bonaparte ». Les ecclésiastiques formaient 25% à 50% des juntes en Espagne. Sur ordre du général Savary, la répression française fut violente et disproportionnée. Aux fréquentes exécutions sommaires répondait la tout aussi atroce guérilla espagnole. En Andalousie, le général Dupont, que Napoléon avait refusé de renforcer, se trouva encerclé et déposa les armes à Baylen le 22 juillet 1808. Le désastre de Baylen, qui voyait, chose inédite, une armée napoléonienne vaincue, eut des répercussions internationales graves.

La guerre d’Espagne (1808-1814) sur la période 1808-1811

Napoléon devait se rendre à Erfurt pour discuter avec la Russie. Du 27 septembre au 14 octobre, on discuta pour rien. Ni l’Autriche ni la Prusse n’étaient représentées alors que concernées en premier lieu sur quelques questions. C’est que l’Autriche réarmait et refusait de reconnaitre Joseph comme roi d’Espagne. Vienne nia pourtant désirer la guerre. A Erfurt, Talleyrand, plus guère ministre des Relations extérieures, l’était pourtant encore pour les grandes occasions. Ce grave dérèglement s’accompagnait d’un Empereur hautain : « taisez-vous, roi de Bavière » lança-t-il en public à Maximilien-Joseph. Pire, Talleyrand décida de trahir Napoléon à Erfurt car il désirait, depuis 1805, une alliance avec l’Autriche et une Prusse forte pour faire barrage à la Russie. Talleyrand mina en sous-main les efforts de Napoléon. Après cet échec diplomatique, l’Empereur intervint en Espagne dès novembre 1808. Napoléon tenait presque la victoire en décembre. Seulement, juste avant qu’il ne l’assure, l’Autriche menaça d’entrer à nouveau en guerre et un complot se forma à Paris.

Joseph retrouva Madrid le 22 janvier 1809 et travailla d’arrache-pied pour assoir son pouvoir dans la durée par une politique d’apaisement et des négociations. Napoléon, même éloigné, refusa toute politique d’apaisement. Une fois hors de Madrid, la guerre était partout. Joseph, chef des armées en Espagne, ne l’était en réalité en rien. Constamment humilié, sans aide financière ni renforts, n’ayant aucun ascendant sur les maréchaux de son frère, Joseph demanda à abdiquer, son frère lui refusa ce droit également. Le maréchal Soult, qui se voyait roi du Portugal, fut repoussé par les Britanniques de Wellesley, futur Wellington.

La Cinquième Coalition : ne peut-on vaincre Napoléon ?

L’Empereur rentra dans sa capitale en janvier, fit taire les comploteurs et se tourna vers Vienne. L’Autriche, voyant la Grande Armée enlisée en Espagne, pensait pouvoir faire vaciller l’Empire français. Si l’Autriche entrait en guerre, formant la Cinquième Coalition avec le Royaume-Uni, c’était avec des garanties russes, Napoléon en était convaincu. Dès lors, Tilsit ne faisait que retarder la guerre contre le tsar. Sentiment renforcé par le refus russe catégorique d’entrer en guerre contre l’Autriche et l’aide discrète donnée à l’offensive autrichienne dans le duché de Varsovie. En réalité, Alexandre Ier était encore favorable à l’alliance française, contrairement à son entourage. Il avait été lui aussi surpris par la rapidité avec laquelle l’Autriche était entrée en guerre : les troupes russes étaient déjà engagées en Finlande et en Moldavie. Grâce au soutien militaire de la Confédération du Rhin, Napoléon leva derechef, à la surprise de Vienne, une nouvelle armée, dite d’Allemagne.

Campagne contre l’Autriche en 1809

Nanti de cette force, Napoléon s’empara à nouveau de Vienne et confronta les Autrichiens durant les batailles d’Essling (21-22 mai 1809) et de Wagram (5-6 juillet 1809). Dans les deux cas, il avait dû enjamber le large Danube. Les ponts avaient cédé durant la bataille d’Essling qui, malgré tout, fut un jeu blanc : pour la première fois, l’Empereur en personne avait été contenu. Pourtant, les Français avaient tenu tête, en claire infériorité numérique et manquant de munitions. Mais cette victoire coûta à Napoléon l’un de ses plus chers amis et meilleurs militaires : le maréchal Lannes. Wagram fut une dure victoire qui coûta à l’Empereur un cavalier d’exception : le général Lasalle. Par le traité de Schönbrunn le 14 octobre 1809, l’Autriche céda des terres allemandes, italiennes et polonaises, perdant l’accès à la mer Adriatique, 3 millions d’habitants, devant payer 85 millions d’indemnités de guerre, restreignant son armée à 150 000 âmes, renforçant le Blocus continental et déclarant la guerre au Royaume-Uni. La Cinquième Coalition dépérissait.

L’apogée entachée du Premier Empire

Napoléon ne jugea pas nécessaire de revenir en Espagne et laissa ses maréchaux s’occuper de mater la guérilla qui gangrénait le pays. Une décision malheureuse pour l’Empire car les maréchaux n’acceptaient que les ordres de Napoléon et ne se coordonnèrent ainsi jamais. Le Portugal, l’Espagne mais également le Royaume-Uni levaient inlassablement des armées pour éroder la Grande Armée dans la péninsule ibérique. Pire, Napoléon refusait toute autorité à son frère Joseph qui se démenait pour apaiser cette Espagne dont il était le monarque.

Pie VII, refusait les investitures de l’Empire, ainsi que de reconnaître Murat à Naples, Joseph à Madrid, soutenait l’insurrection espagnole et, disait-on, s’accordait avec l’Autriche. Napoléon ordonna l’annexion des Etats pontificaux le 17 mai 1809. Charlemagne avait donné des terres au Pape il y a mille ans ; Napoléon, son successeur proclamé, les reprenait. Pie VII, signa en représailles la bulle Quum memoranda : l’excommunication de Napoléon et ses sujets ainsi que, pour l’Empereur, l’anathémisation (signifiant vouer à la malédiction divine). Le Pape fut arrêté le 6 juillet sur un ordre peu clair de Napoléon. Rome fut annexée le 17 février 1810 et devint la seconde ville de l’Empire : le gallicanisme primait désormais sur le catholicisme. Ce conflit avec le Saint-Siège ne verrait pas le Pape flancher, bien que malmené jusqu’en 1814.

En 1809, l’Empereur divorça de sa femme, l’impératrice Joséphine, car elle était infertile. Il épousa l’archiduchesse autrichienne Marie-Louise en 1810. C’était une manière de faire de Vienne une solide alliée de Paris, stabilisant le centre de l’Europe et entravant les ambitions russes. Un garçon, Napoléon II, naquît de cette union en 1811. En parallèle, le maréchal d’Empire Bernadotte fut choisi par la Suède comme prince héritier du vieux roi au pouvoir. Celui-ci n’avait pas d’héritier et donner ce rôle au maréchal avec lequel Napoléon s’entendait le moins était une manière pour la Suède, qui avait rejoint les trois dernières coalitions, de se rapprocher de la France tout en gardant une confortable indépendance.

En 1810, la presse fut davantage contrôlée, les prisons d’état réhabilitées, les députés congédiés pour un an, le Code Pénal instauré en novembre avec une peine de mort omniprésente, le juridique réformé ; l’Empire devenait assurément autoritaire. Alors que des tensions naissaient à l’est entre la Russie et l’Empire Ottoman, Napoléon décida d’occuper la menaçante Saint-Pétersbourg avec une énième guerre russo-turque. La France autorisa le tsar à s’installer sur le Danube, provoquant la fureur de Constantinople et la guerre en 1810. Cette même guerre qui avait été interrompue en 1807 sur ordre de Napoléon lors du traité de Tilsit.

1811 marquait l’apogée territoriale de l’Empire français. Le dénommé Grand Empire englobait la France, la Belgique, la Hollande, le nord de l’Italie, la Catalogne, des terres suisses et allemandes et les provinces Illyriennes. La France comptait 83 départements en 1790, elle en avait désormais 130. On comptait 44 millions de « Français » et 40 millions d’alliés (Italie, Confédération du Rhin, Naples, Westphalie, duché de Varsovie), sur 170 millions d’Européens. Mais dans l’ombre se préparait le déclin : les relations avec les Russes était tendues, celles avec les Suédois étaient faussement convenables ; la Prusse se réorganisait, réformait son armée et voyait naître un fort nationalisme. A l’apogée du Premier Empire en 1810-1811, trois taches ternissaient le tableau : l’Espagne, le pape et la crise économique.

Carte de l’Europe avant la Sixième Coalition (1812)

Cette crise économique fut la pire qu’ait eu à subir Napoléon. La Confédération du Rhin souffrait avec lui, désormais totalement dépendante du commerce français à cause du Blocus continental. Napoléon dut relâcher la pression sur Londres, dont l’économie souffrait pourtant enfin, pour sauver l’économie européenne. En 1812, la Russie tsariste et la France impériale ne pouvaient guère plus s’entendre. La Russie, humiliée en 1807 par le traité de Tilsit, s’énervant du mariage de Napoléon avec une archiduchesse autrichienne, de l’annexion d’un territoire appartenant à la sœur du tsar, de la création du Duché de Varsovie, des sympathies de Napoléon pour l’ennemi séculaire qu’était l’Empire ottoman et des terribles dégâts qu’infligeait le Blocus continental à son économie, lança un ultimatum à la France. Napoléon lui rendit la pareille. On oublie souvent de partager les torts de la guerre contre la Russie : Napoléon n’est pas le seul à avoir poussé les hostilités politiques vers leur pendant militaire, loin de là.

La Sixième Coalition : d’un duel impérial à un cataclysme européen

La guerre fut déclarée et avec elle naquit la Sixième Coalition antifrançaise, rassemblant initialement la Russie et le Royaume-Uni. Napoléon n’était pas en reste, il imposait les alliances de l’Autriche et de la Prusse et avait pour lui la fidélité de la Confédération du Rhin. Il rassembla l’armée des « Vingt Nations ». De part et d’autre du Niémen, des forces égales d’environ 600 000 hommes se massaient à la frontière. Napoléon avait prélevé quelques forces et commandants d’Espagne. Pourtant, celle-ci n’avait jamais été aussi proche de la « pacification » qu’au début de 1812. Le 28 mai, la guerre russo-turque prit fin. Napoléon avait raté son pari : aucune troupe russe ne serait dévoyée de la défense nationale.

Le 18 juin, pour des griefs d’ordre maritimes, les Etats-Unis déclarèrent la guerre au Royaume-Uni. N’allons pas croire à une entente entre Paris et Washington : à deux voix près, les Etats-Unis déclaraient la guerre à la France également. Napoléon lança le 22 juin 1812 l’invasion des immensités russes, guerre contre le « barbare du nord » qu’il considérait comme la dernière nécessaire à la consolidation de son système européen. Les armées russes, suivant la stratégie de la terre brûlée que promouvait le général Barclay de Tolly, fuyaient sans combattre et dévastaient leur propre pays. Epuiser l’armée de Napoléon était devenu le seul moyen de la fragiliser. Après un accrochage à Smolensk, remporté par Napoléon, la Grande Armée affronta enfin les Russes du généralissime Koutouzov devant Moscou le 7 septembre.

La bataille de la Moskova (Borodino) fut la plus sanglante de l’histoire de l’Empire. Napoléon préféra une attaque frontale à une autre stratégie plus complexe et l’emporta après de furieux combats. L’armée russe avait laissé le terrain mais n’était pas vaincue. Napoléon s’empara ainsi de Moscou. Rappelons que ce n’était pas alors la capitale de l’Empire russe. Des Russes incendièrent la ville. Le tsar Alexandre Ier refusa la reddition, encouragé dans la résistance par le désormais prince suédois Bernadotte et par les Britanniques. En octobre, Napoléon se décida enfin à rebrousser chemin : la situation serait intenable pour l’hiver car la Grande Armée s’enfonçait dans l’indiscipline et la situation en France n’était pas reluisante. Ce départ, pourtant, était trop tardif : l’hiver russe arrivait.

La campagne de Russie (juin-décembre 1812)

La retraite de Russie fut extrêmement dure, autant pour la Grande Armée, traquée et harcelée par les forces russes, que pour ces mêmes forces russes qui subissaient, autant que les hommes de Napoléon, les affres de l’hiver. L’Empereur des Français voyait se refermer sur lui en tenaille deux forces russes. Il parvint à sauver son armée par la victoire stratégique mais la défaite morale que fut la bataille de la Bérézina. L’Empereur savait que toute l’Europe se lèverait contre lui dans ces premiers instants de faiblesse. Napoléon laissa son armée non loin du Niémen pour rejoindre Paris où un coup d’Etat à son encontre avait été déjoué. Un homme avait prétendu l’Empereur mort et personne n’avait songé à introniser le fils de Napoléon. Ce dernier renforça alors son pouvoir dans l’Empire et leva très rapidement une nouvelle armée tandis que les débris de la Grande Armée retraitaient en terres allemandes.

Cette nouvelle armée manquait d’expérience et de cavalerie mais était dotée d’une artillerie de qualité. Sans cette superbe cavalerie impériale, morte en Russie, les victoires ne pouvaient être décisives (la cavalerie permet la poursuite d’une armée en retraite et peut provoquer sa reddition ; exploiter sa victoire revient à la compléter). Ce n’est qu’en 1812, avec la perte de 500 000 fusils en Russie, que Napoléon tenta d’instaurer une industrie de guerre pour pallier les manques. Cambacérès, à nouveau destiné à gouverner la France en l’absence de Napoléon, devait affronter un mécontentement populaire dû notamment aux conscriptions, une crise économique et frumentaire (occasionnant protestations et actes criminels), une fronde religieuse et des royalistes alors que Londres attaquait ses côtes.

La campagne de Saxe : la Grande Armée est enterrée, mais pas l’Empereur

Ainsi débutait, en 1813, la campagne de Saxe. Napoléon faisait face à des Coalisés en large supériorité numérique. Pourtant, il enchaina les victoires de Lützen, Bautzen et Dresde. Les Coalisés, interdits devant ces succès français, proposèrent le Congrès de Prague. C’était une mascarade destinée à gagner du temps pour permettre l’entrée en guerre de l’Autriche qui réarmait. Napoléon le savait mais ne pouvait faire autrement qu’accepter : il devait stabiliser son empire et son armée était démoralisée. On proposa à l’Empereur des termes qu’on lui savait insupportables pour la paix. Napoléon finit par accepter les dures exigences des Coalisés, à leur grande surprise. Ceux-ci prétendirent recevoir trop tardivement cette acceptation et relancèrent les hostilités.

L’Autriche rejoignit la Sixième Coalition. Celle-ci alignait tellement d’hommes que Napoléon devait séparer sa force en plusieurs armées. Les Coalisés essayèrent d’éviter, dès lors, un combat contre l’Empereur en personne. La campagne de Saxe reprit. Napoléon accourut du nord au sud des terres allemandes pour renforcer ses petites armées et diriger les engagements les plus cruciaux. Mais il ne pouvait être partout. Bien souvent, les Coalisés reculaient en le voyant arriver. Une grande bataille, dite « Bataille des Nations » décida finalement du sort. Cette bataille, se déroulant à Leipzig (16-19 octobre 1813), vit 195 000 Français contenir 330 000 Coalisés. Pour chaque canon français, il y en avait deux en face. Napoléon exécuta une excellente bataille défensive jusqu’à ce que l’explosion prématurée du pont qui lui permettait de fuir la transforme en désastre. En Espagne, Britanniques, Portugais, Espagnols et Siciliens repoussaient les Français.

La campagne de France : les coups d’éclat ne suffisent plus

La campagne de France, janvier-avril 1814

Les Coalisés, fin 1813 au sud, début 1814 au nord, entraient dans le sanctuaire français. Alors qu’Eugène de Beauharnais, fils adoptif de Napoléon et vice-roi d’Italie, luttait contre les Autrichiens, Joachim Murat, maréchal d’Empire et roi de Naples, trahit son empereur et accessoirement beau-frère pour sauver son trône. En janvier 1814, les Coalisés affrontèrent avec les armées du prussien Blücher et de l’autrichien Schwarzenberg un Napoléon qui avait retrouvé toute son énergie d’antan. Bien que manquant de tout, l’Empereur fit douter les Coalisés en leur infligeant plusieurs défaites et en manquant de peu de détruire l’une des deux armées qu’on lui opposait. Ce temps fort fut surnommé la campagne des Six-Jours (9-14 février 1814). Napoléon y mena des soldats français en cruelle infériorité numérique et manquant de tout aux victoires de Champaubert, Montmirail, Château-Thierry et Vauchamps.

Finalement, l’insupportable infériorité numérique fit la différence et Paris tomba. Le 6 avril, Napoléon abdiqua : il n’était plus désormais que l’empereur de l’île d’Elbe, au large de l’Italie. Un gouvernement provisoire, mené par Talleyrand, dirigea la France jusqu’à ce que la Restauration royale soit effective sous Louis XVIII de Bourbon.

Le Congrès de Vienne : une réorganisation européenne nécessaire

L’Europe sous la Sixième Coalition (en rouge), avant les changements territoriaux du Congrès de Vienne (1814-1815)

Le Congrès de Vienne (1814-1815) vit se rassembler toutes les puissances européennes autour des questions les plus épineuses : les questions polonaise, saxe et de la gouvernance à appliquer sur les terres allemandes. Le sort de la France restait flou. Sur ce dernier point, Talleyrand, qui représentait la France au congrès, parvint à un miracle diplomatique. Il plaça la France en arbitre entre les Coalisés qui se disputaient sur les autres questions.

Finalement, la Pologne revint largement à la Russie, qui voyait là ses ambitions occidentales satisfaites. La Prusse, en dédommagement de l’avancée russe en Pologne, obtint la moitié de la Saxe, une petite partie de Pologne et des territoires de l’ouest des terres allemandes, aux abords du Rhin. L’Autriche, pour ne pas être en reste, recouvra ses terres d’avant 1805 (des territoires en Italie et en Allemagne) et chapeauta la Confédération germanique, héritière de la Confédération du Rhin qu’avait créée Napoléon. Il faut dire qu’en 1806 la Confédération du Rhin avait remplacé le Saint Empire Romain germanique, vieux de 844 ans, que chapeautait l’Autriche. Il n’était donc pas illogique que l’Autriche retrouve son rôle d’antan concernant ces territoires, au travers de la nouvelle Confédération germanique.

L’Europe après les changements territoriaux du Congrès de Vienne, en rouge la Septième Coalition antifrançaise (1815)

Du vol de l’Aigle à la perte de ses ailes

Toutes les questions étaient réglées mais Napoléon choisit ce moment pour revenir. Il débarqua dans le sud de la France et renversa, sans coup férir, la Restauration royale. Louis XVIII, se voulant modéré et libéral, s’était laissé critiquer par la presse sans réagir, ne s’était pas entouré de ses soutiens et avait désarmé la France tout en réinstaurant la suprématie de l’origine sur le mérite dans l’armée, provoquant la colère de cette dernière. Débarqué le 1er mars 1815, Napoléon reprit le pouvoir le 20 mars. Sa restauration impériale était bien plus fragile, bien moins autoritaire, et peinait à trouver des soldats. L’Europe se ligua immédiatement contre l’Empereur, formant la Septième Coalition. Napoléon tenta de négocier mais les Coalisés restaient sourds. Il abolit la traite des Noirs pour se concilier les Britanniques, qui cherchaient à imposer cette mesure aux puissances européennes, en vain. Murat, sur le trône de Naples, n’aidait pas ; il choisit ce moment pour essayer d’unifier l’Italie, se mettant à dos son seul soutien européen : l’Autriche, qui avait un large pan du nord de l’Italie sous sa férule. Pour l’Europe, la complicité entre l’empereur et son beau-frère, en vérité inexistante, était évidente. Murat tenta une offensive et échoua lamentablement face aux Autrichiens. Il venait de perdre son trône.

Itinéraire de Napoléon durant les Cent Jours (mars-juin 1815)

De son côté, Napoléon décida de mener une campagne offensive en Belgique contre les armées anglo-hollandaise de Wellington et prussienne de Blücher. L’Empereur pensait qu’obtenir de rapides victoires était la meilleure manière d’amener l’Europe à la table des négociations. La campagne dura quatre jours. Napoléon tira sa dernière victoire du premier affrontement : la bataille de Ligny contre les Prussiens ; tandis que le maréchal Ney repoussait avec difficulté les Anglo-hollandais de Wellington à la bataille des Quatre-Bras. Napoléon essaya alors de détruire l’armée de Wellington à Mont-Saint-Jean. Il était en passe de l’emporter, le 18 juin 1815, contre un Wellington qui se défendait admirablement. Soudain, l’armée prussienne débarqua sur le champ de bataille sur le flanc droit de Napoléon, provoquant la déroute de l’armée française.

La France occupée après la victoire de la Septième Coalition (1815-1818)

Cette bataille, qui prit le nom de Waterloo, était une victoire surtout allemande et la dernière bataille pour Napoléon. Celui-ci, de retour à Paris, affronta le pouvoir législatif mais plia rapidement et abdiqua en faveur de son fils le 22 juin 1815. Il ne fut pas entendu : la seconde Restauration royale fut préférée à la dynastie Bonaparte avec le retour de Louis XVIII. Napoléon fut exilé sur la lointaine île de Sainte-Hélène, au large de l’Afrique où il décéda le 5 mai 1821. L’Europe, cette fois, occupa la France pour trois années et lui fit payer une très lourde indemnité de guerre. Il n’y aurait pas de second miracle diplomatique.

Pour aller plus loin :

Lentz, Thierry (2018). Le Premier Empire. Paris : Fayard / Pluriel, 832p.

Marill, Jean-Marc (2018). Histoire des guerres révolutionnaires et impériales 1789-1815. Paris : Nouveau Monde éditions / Ministère des Armées, 544p.

Gaxotte, Pierre (2014). La Révolution française. Paris : Tallandier, 529p.

https://fr.wikipedia.org/wiki/Prise_de_la_Bastille (prise de la Bastille)

https://jeune-nation.com/actualite/jdj/testament-de-louis-xvi.html (exécution de Louis XVI)

https://slideplayer.fr/slide/501710/ (carte de la Première Coalition)

http://le-lutin-savant.com/g-napoleon-premier-empire-geographie.img/Premi%C3%A8re-coalition-1792-1797-Dunkerque-Jemmapes-Valmy-Flerus-Coblence-Toulon-Bordeaux-Mayence-Turin-.jpg (résumé des menaces sur la France en 1793)

https://fr.wikiquote.org/wiki/Maximilien_de_Robespierre (Robespierre)

https://fr.m.wikipedia.org/wiki/Fichier:Generale_Bonaparte_in_Italia.jpg (Bonaparte)

http://www.napopedia.fr/fr/Campagnes/uitalie (Première campagne d’Italie)

https://fr.wikipedia.org/wiki/Bataille_des_Pyramides (bataille des Pyramides)

https://fr.wikipedia.org/wiki/Coup_d%27%C3%89tat_du_18_Brumaire (18 Brumaire)

http://napoleon1news.canalblog.com/archives/2008/05/06/9086620.html (sacre de Napoléon)

https://twitter.com/jb90703/status/998897622843731968 (carte de la Troisième Coalition)

https://www.napopedia.fr/fr/Campagnes/prusse (campagne de Prusse et de Pologne)

https://fr.wikipedia.org/wiki/Trait%C3%A9s_de_Tilsit (Tilsit)

https://fr.wikipedia.org/wiki/Campagne_de_Napol%C3%A9on_Ier_en_Espagne (campagne française d’Espagne)

http://www.napopedia.fr/fr/Campagnes/sautriche (campagne française en 1809)

https://fr.wikipedia.org/wiki/Premier_Empire (Premier Empire à l’apogée)

https://www.napopedia.fr/fr/Campagnes/russie (carte campagne de Russie)

https://theatrum-belli.com/campagne-de-france-1814-comment-une-serie-de-victoires-tactiques-menent-a-une-defaite-strategique/ (vision stratégique de la campagne de France)

https://www.youtube.com/watch?v=b8zcRzsORX4&t=354s(carte de la situation européenne avant et après le Congrès de Vienne et également de la Septième Coalition)

https://www.napopedia.fr/fr/Campagnes/centjours (parcours de Napoléon durant les Cent Jours)

https://en.wikipedia.org/wiki/Treaty_of_Paris_(1815) (occupation de la France)