1- Présentez-vous : Quel âge avez-vous ? Sous quel nom ou pseudo vous faites vous connaître ? D’où venez-vous ?

J’ai 32 ans, je suis journaliste indépendant, correspondant de TV Libertés, fondateur et rédacteur en chef du Visegrád Post, site chrétien et conservateur cherchant à donner aux lecteurs des clefs de compréhension de l’Europe centrale. Je suis franco-hongrois, j’ai grandi à Paris et vit en Hongrie depuis 2010. J’ai peu ou prou toujours signé mes articles de mon nom de plume, Ferenc Almássy.

J’ai eu la chance d’avoir une éducation bi-culturelle : j’ai appris à lire et écrire dans mes deux langues, et j’ai aussi bien entendu des contes en français qu’en hongrois. Issu de la classe moyenne, je n’ai pas beaucoup voyagé étant jeune, si ce n’est en Hongrie où je passais la majeure partie de mes étés, créant ainsi en moi un lien particulier avec ma « matrie ».”

2-: Quel est votre parcours ? Votre jeunesse, vos études, votre parcours professionnel et personnel.

” Bercé par les histoires de marins et soldats, j’ai voulu arrêter l’école à la fin de la primaire pour découvrir le monde. Mais mon calvaire scolaire m’a amené jusqu’à un baccalauréat scientifique, puis j’ai commencé une faculté de mathématiques. J’ai rapidement saturé, puis mon parcours a été chaotique. Un peu d’histoire à la Sorbonne, puis des chantiers, enfin un retour aux mathématiques pour bifurquer sur la mécanique théorique afin de travailler dans le bâtiment. Mais ce que j’ai découvert ces années-là sur les grands chantiers parisiens – corruption, détournement de fonds publics, importation et exploitation de clandestins esclavagisés, esquives des protocoles de traitement des déchets dangereux, … – m’a profondément heurté et m’a poussé à abandonner cette filière. Déboussolé, sans diplôme, j’ai décidé de changer radicalement d’air, alors qu’en parallèle je commençais à étouffer à Paris et au contact de la politique française. J’ai alors pris mes affaires et je suis parti, à 22 ans et sans projet, en Hongrie. Ca a été la meilleure décision de ma vie.

Après avoir fait les 400 coups et vadrouillé un peu, j’ai commencé à travailler. Traduction, tourisme, multinationale, j’ai essayé pas mal de choses. Mais c’est en 2015 avec l’avènement de la « crise des migrants » que j’ai trouvé ma voie.

Contacté par TV Libertés pour les aider à couvrir les événements – ils se doutaient bien que ce que rapportait la presse mainstream était partiel et partial – j’ai commencé à travailler à plein temps comme fixeur, reporteur et plus tard, comme journaliste à part entière.”

3-: Qu’est-ce qui vous a amené à lancer votre projet ? Quelles sont les étapes qui vous y ont menées ?

” C’est précisément cet été 2015 et mon expérience plus intime de la guerre médiatique qui m’ont motivé à faire plus qu’écrire des articles et tourner des images. Avec mon collègue Nicolas de Lamberterie, nous avons fait germer l’idée d’un média « de réinformation » pour l’Europe centrale. Avec le patronage de TV Libertés, ce projet a pu voir le jour en 2016.”

4-: Pouvez-vous nous expliquer plus en détail en quoi consiste votre projet ?

” Le VP est un tout-en-ligne qui, en français, anglais et allemand, offre gratuitement à ses lecteurs des articles exclusifs ou des traductions d’articles et de discours de la région centreuropéenne. Axé sur le Groupe de Visegrád (V4 ; structure de coopération ad hoc composée de la Pologne, de la Tchéquie, de la Slovaquie et de la Hongrie), le site ne couvre pas tant l’actualité – nous proposons une modeste revue de presse hebdomadaire le dimanche soir – qu’il n’essaye d’apporter un regard différent sur la région, depuis un angle résolument chrétien et « conservateur », au sens large. L’immense majorité du lectorat ne trouve ailleurs que de la presse libérale, progressiste, engagée à gauche et hostile aux politiques et aux sociétés d’Europe centrale. Nous avons voulu, modestement, apporter notre contribution à la vaste lutte pour le rééquilibrage des forces.

Mais encore une fois, nous ne faisons pas de l’actu. Nos lecteurs trouvent sur le site plutôt des analyses, des papiers d’opinion et des entretiens : la devise de notre site est « Comprendre l’Europe centrale ». C’est notre objectif, permettre à nos lecteurs, quel qu’ils soient, de mieux appréhender la complexité de la région la plus dynamique d’Europe.

Nous avons une capacité de production assez faible car notre équipe est bénévole. C’est aussi ce qui nous a conduit à abandonner les traductions systématiques, préférant publier des articles parfois en une seule langue, et donc présents exclusivement sur une des versions du site, que de ne rien publier. Il y a donc pour ainsi dire 3 Visegrád Post en un. Mais pour diverses raisons – identité de notre sponsor, constitution de notre équipe, lectorat prioritaire – la partie francophone est de loin la plus développée et la plus riche.”

5-: Depuis combien de temps votre projet est lancé, et comment se passe son évolution?

” Le Visegrád Post a connu plusieurs étapes, comme beaucoup de médias. Lancé le 31 mars 2016, il a d’abord fonctionné en français et anglais, et l’allemand s’est rajouté pour les deux ans du site. Au début, nous tentions de couvrir les événements d’actualité les plus importants, et traduisions tous nos articles. Puis, au fil du temps, le projet a évolué. À partir de 2017, nous nous sommes posé une question : que peut-on apporter à nos lecteurs que d’autres ne leur proposent pas ? La réponse est venue aisément, il nous fallait abandonner notre tentative de suivre l’actualité chaude – nous n’avons pas les moyens pour faire cela convenablement et sur le long terme – et plutôt accompagner nos lecteurs dans leur suivi et leur étude de la région. Depuis lors, nous continuons sur cette lancée. Média indépendant, nous n’avons de comptes à rendre à personne.

Nous ne cherchons pas à faire la propagande de tel parti ou de tel parti, oligarque, ou gouvernement, et nous cherchons à bâtir une plateforme conservatrice reconnue, sérieuse, fiable et intéressante pour tous ceux intéressés par la région, quelque soit leur orientation : nous tentons de représenter manière équilibrée les différents points de vue conservateurs de l’Europe centrale, sans soutenir aucune velléité d’assujettissement à des puissances extérieures – USA, Russie, Allemagne, Israël, Turquie, Chine… Le Visegrád Post ne cherche pas à tromper son public, contrairement à nombre de nos confrères : nous assumons ouvertement notre orientation politique pour que le lecteur puisse nous lire en connaissance de cause et puisse ainsi se faire son avis librement.

6-: Quelles sont vos principales sources d’inspirations, vos influences et vos références?

” Parmi les médias qui nous ont inspiré au départ, il faut citer le Monde diplomatique ou encore Courrier international. Les médias dits de la « réinfosphère » ont également été des modèles, notamment pour le fonctionnement concret, les aspects techniques ou encore l’organisation. Mais le Visegrád Post, je crois, est un peu unique en son genre et a su se forger sa propre identité. J’oserais même dire qu’il est sur la voie pour devenir un jour une référence. Mais peut-être suis-je mauvais juge, car le projet me tient beaucoup à cœur !

Du côté des influences politiques ou idéologiques, en ce qui me concerne, je dirais que la Doctrine sociale de l’Église catholique et la Nouvelle droite sont probablement mes deux piliers moraux et intellectuels. Mais je suis également fortement imprégné du patriotisme hongrois, le tout saupoudré d’un peu de traditionnalisme, et de pincées de Bakounine, de Chesterton… mais n’ayant jamais été très académique, étant autodidacte, je rejette toute étiquette et je ne cherche pas à mettre le Visegrád Post sous une bannière plus étroite que celles du « conservatisme et du christianisme ».”

7-: Qu’est-ce que le conservatisme selon vous ? Et pensez-vous qu’il est important aujourd’hui ? Si oui pourquoi et si non pourquoi ?

” Enfant déjà, je ne comprenais pas la furie progressiste. S’il me semblait légitime de chercher à corriger des choses dysfonctionnelles, il me semblait aussi évident qu’il était nécessaire de travailler à préserver un certain héritage, qu’il soit matériel comme immatériel, naturel ou artificiel. Je crois qu’on est rapidement témoin dans la vie de la fragilité des choses bonnes, de la difficulté à bâtir, de l’importance d’un cadre commun qui apporte sécurité, justice et liberté. Si je devais donc donner une définition du conservatisme, je dirais que c’est l’engagement sur le terrain politique en faveur de la préservation du bien commun. En cela, le conservatisme n’est pas nécessairement « à droite » – mais s’inscrit dans une philosophie « de droite ».

Ce qui explique notamment, au fur et à mesure que notre monde devient, par la technique, de plus en plus petit et interconnecté, que des ennemis d’hier, par l’évolution des structures – aussi bien physiques (transport, communication) que politiques et économiques – se retrouvent de plus en plus côte à côte. On le voit dans l’opposition croissante entre mondialistes et localistes, dichotomie de plus en plus pertinente alors que « gauche » et « droite » se retrouvent déchirées entre les deux mouvements.

La ligne de rupture, celle qui définit le localisme par rupture d’avec la soi-disant marche inéluctable du Progrès qui mènerait nécessairement vers une gouvernance mondiale et une uniformisation de l’humanité, c’est cette volonté de s’ancrer dans le local, de vivre à échelle humaine malgré les moyens techniques révolutionnaires et destructeurs des structures humaines traditionnelles. Pour moi, le localisme est la forme la plus vivante de conservatisme aujourd’hui. Elle est notamment capable de réintégrer dans la pensée politique l’ancrage au sol, de repenser la protection du vivant, et de nous sortir du culte de Mammon. On pourrait dire qu’être conservateur, c’est être « responsabiliste », vouloir assurer le maintien de ce qui a prouvé être une valeur sûre et qu’on sait fragile plutôt que de suivre une utopie ou un fantasme destructeurs.”

8-: Pouvez-vous nous donner un livre, un film et une musique, qui selon vous vous représente, ou auquel vous tenez ?

” Je déteste les étiquettes, et je n’aime pas réduire mes vues et mes goûts à une œuvre ! À titre personnel, j’ai été très marqué par les Pensées pour moi-même de Marc-Aurèle, ainsi que par le cinéma de Tarkovski. Mais je ne dirais pas que ça me définit, je ne suis ni un poète soviétique ni un ascète. Les grands classiques grecs, mais aussi l’étude de l’Histoire – Georges Duby a été pour moi la porte d’entrée dans cet univers – sont autant d’éléments fondamentaux qui structurent ma pensée.

Pour ce qui est du film, ce serait un cocktail des Duellistes et de Blade Runner de Scott, de Barry Lindon et Kubrick, de Brazil de Gilliam, de Stalker et Solaris de Tarkovski, ou encore d’Insterstellar de Nolan. J’en oublie certainement plein d’autres, mais ceux-là me parlent particulièrement.

Pour la musique, je pourrais faire un paragraphe complet, j’ai des goûts assez éclectiques qui englobent les musiques folkloriques, la musique classique, l’opéra, le drum and bass, et j’écoute beaucoup de musiques de films où de jeux, deux havres où des compositeurs – Inon Zur, Geoff Knorr, Ennio Morriconne, Max Richter, Hans Zimmer, Jeremy Soule, Ramin Djawadi, Howard Shore, …– peuvent encore créer de superbes œuvres en dehors du cadre de la musique commerciale infecte que bombardent les grandes maisons de disque. Mais pour le coup j’ai une chanson à laquelle je m’identifie et qui me prend toujours aux tripes à chaque fois que je l’entends, c’est la Quête de Jacques Brel.”

9-: Que pensez-vous pouvoir apporter à quelqu’un qui vous découvre ?

” J’espère que quelque soit l’orientation politique de la personne, elle trouvera sur le Visegrád Post matière à réflexion, et qu’elle pourra apprendre des choses utiles pour se faire sa propre opinion sur cette partie méconnue de l’Europe.

J’espère, si le lecteur est « un conservateur », lui permettre d’aborder l’Europe centrale avec un œil critique – mais pas à travers la focale libérale. Il ne faut pas fantasmer sur l’Europe centrale, mais chercher à comprendre la raison de sa différence de mentalité et de politique.”

10-: Quels sont vos projets à l’avenir ? Dans les prochaines semaines et mois, à court terme, mais également votre vision à long terme.

” À court, à moyen et à long terme : la survie et le développement du site. Ce n’est pas une mince affaire ! Ce n’est pas un projet commercial, nous n’avons pas de revenus, et nous sommes un média gratuit. Nous travaillons actuellement à trouver des solutions pour pérenniser le projet et lui permettre de se développer pour devenir un véritable média incontournable sur la scène des médias politiques internationaux. Mais c’est une longue route. Et pas grand monde n’est intéressé à financer un média indépendant. J’en profite pour remercier chaleureusement tous les donateurs qui nous soutiennent depuis le début ainsi que le groupe Libertés pour son soutien. Nous travaillons d’arrache-pied pour amener le site vers l’étape suivante. Cela passera certainement par des partenariats avec des grands médias.

11-: Où peut-on vous suivre ? Sur quel média ou réseau êtes-vous le plus actif ?

Aujourd’hui, la majeure partie de mon travail est invisible, car le site requiert du temps et de l’énergie. Il m’arrive toutefois d’écrire régulièrement ou occasionnellement, en français, dans le Club de la Presse, en particulier, et bien entendu j’interviens de temps en temps sur TV Libertés. Je n’utilise à titre personnel que relativement peu les médias sociaux, mais sur Facebook, je dispose d’une page multilingue que j’alimente aussi bien de mes productions que de liens que je trouve intéressants ou utiles, et j’y partage mes réflexions sur l’actualité.

12-: Un mot pour la fin ?

“Merci pour cet entretien, et longue vie au Conservative Enthousiast ! Alors que le monde est bouleversé par des changements jamais vus dans tous les domaines, il est particulièrement difficile de garder les idées au clair tout en baignant dans un océan de libéralisme et de progressisme, le tout à la sauce orwello-covidienne, en parallèle d’une dégradation, pour les Français, de leur niveau de vie. Il importe pour cela d’avoir quelques points d’ancrage où l’on peut trouver de l’air frais, prendre du recul et le temps de réfléchir afin de construire une pensée équilibrée, loin des injonctions du monde moderne, tyrannique et omniprésent, nihiliste et corrupteur. Pour la dimension intellectuelle et l’action concrète, un certain nombre de médias sont des balises de secours. Vu la faiblesse de nos moyens, la puissance titanesque de ceux que nous affrontons, l’étendue des dégâts et la sidération de notre milieu, la tâche est immense, et donc chaque havre additionnel est le bienvenu. Le Visegrád Post essaye de faire sa part dans ce travail herculéen, j’espère que les lecteurs pourront aussi compter sur le Conservative Enthousiast.”